L’offense nue.
Balzac était passé par la littérature, dans le Chef-d’œuvre inconnu, pour questionner le processus alchimique de l’inspiration en peinture ; Jacques Rivette, en l’adaptant, transpose cette...
le 12 janv. 2021
25 j'aime
Rares sont les films monstres comme l’est par exemple La Belle Noiseuse de Jacques Rivette. Des films qui vous embarquent dans un antre où le pouvoir de création prend le dessus sur tout le reste.
Dans une grande et belle maison du Sud de la France, un peintre, vivant avec sa femme, semble perdre foi en son art. Mais grâce à sa rencontre avec la douce et belle Marianne, il va essayer de recommencer (ou terminer) une œuvre laissée en suspens pendant des années entières. C’est alors qu’un huis clos va pouvoir prendre forme, dans deux lieux distincts : l’atelier de création où Edouard va travailler d’arrache-pied avec son modèle Marianne, et deuxièmement, la maison familiale où les errements et les tensions entre couple vont alors s’exposer au grand jour. Même si La Belle Noiseuse prend parfois des airs de vaudeville, de ménage à trois ou de romance fracturée (magnifique couple qu’est celui de Edouard et Liz), c’est plus le poids de l’art sur l’artiste que de l’artiste sur l’art qui alimente la sève du film.
Long de par sa durée, déroutant par son rythme qui se laisse divaguer sous la chaleur de l’été, le bruit du crayon contre la toile et les diverses déambulations dans ce décorum bucolique et bourgeois à souhait, La Belle Noiseuse est un monstre à deux têtes, celles de Michel Piccoli et Emmanuelle Béart. Lui est le peintre, et elle, le modèle. Sauf qu’au fil des heures de travail, le statut de chacun va s’étioler ou évoluer pour prendre la place de l’autre. Lui, paraît comme le loup dévoreur, destructeur et machiavélique et elle, la brebis, tendre et prête à se faire dévorer par son bourreau à qui elle montre son intimité. La création est le maître mot, le fil rouge même de l’œuvre : tant dans sa matière filmique, avec ses longues séquence de peinture, que par ses thématiques qui dérivent autant dans le théorique que dans l’organique.
Ses nombreux coups de crayon ou de pinceau, ses nombreuses minutes de chamailleries et de discordes ténébreuses pour trouver la bonne position du modèle nu, le temps qu’il faut pour trouver une complémentarité, les doutes des personnages quant à la valeur de ce tableau, un regard artistique sur l’aspect dominant/dominé durant la conception artistique ou même le questionnement de chacun quant à leur rôle dans ce processus de création. Car même si le film s’interroge sur le rôle de la création dans une vie, sur le travail de mémoire ou même dans un couple, regardant de près la dévotion de l’Homme pour son art et la capacité qu’a ce dernier à se plonger corps et âme dans cette addiction presque divine, c’est avant tout le processus et l’arrière du décor qui obsèdent la caméra de Jacques Rivette et le scénario de Pascal Bonitzer.
Une caméra, qui derrière la sensualité du cadre et l’attraction émanée par le corps nu d’Emmanuel Béart ne tombe jamais dans le piège du voyeurisme mais au contraire, passionne avec une démarche qui demeure toujours artistique. La caméra de Rivette, notamment dans les scènes de l’atelier, ne sexualise jamais le corps d’Emmanuelle Béart. L’image prend le pouls du regard du peintre Edouard, aussi lâche que gouvernant, neutre que fasciné, matérialiste qu’humain, tyrannique que désespérément troublé et fragile. C’est cette fragilité et cette ambiguïté dans le schéma d’invention qui dans cette bulle intemporelle qu’est l’atelier de création, voient naitre cette relation si spéciale entre les deux personnages et leurs mises à nu mutuelles, au sens propre comme au figuré.
Plus les minutes avancent, plus le suspense autour de l’achèvement de la peinture devient grand. Pourtant, plus les croquis abondent, plus le sang et les larmes coulent, plus les essais se multiplient et plus la résultante de la création devient secondaire, pour se faire dépasser par le Graal que cherchent les deux protagonistes : une liberté d’esprit et de chair, une quiétude du souvenir et un libre arbitre superposant l’art au quotidien comme ce fameux « Non » frondeur et ricaneur de Marianne à son amant Nicolas. A l’instar de son personnage, Jacques Rivette fait de son film une peinture immense, imparfaite mais débordante de générosité et d’obstination sur la transcendance de l’Humain et son propre pouvoir de création.
Créée
le 1 juil. 2020
Critique lue 646 fois
14 j'aime
1 commentaire
D'autres avis sur La Belle Noiseuse
Balzac était passé par la littérature, dans le Chef-d’œuvre inconnu, pour questionner le processus alchimique de l’inspiration en peinture ; Jacques Rivette, en l’adaptant, transpose cette...
le 12 janv. 2021
25 j'aime
Au départ c’est une histoire de couple. Tous deux vont simuler une rencontre fortuite, où elle serait la photographe et lui l’artiste qui se cache. On est dans le sud de la France, non loin du Pic...
Par
le 22 janv. 2015
15 j'aime
5
Rares sont les films monstres comme l’est par exemple La Belle Noiseuse de Jacques Rivette. Des films qui vous embarquent dans un antre où le pouvoir de création prend le dessus sur tout le reste...
Par
le 1 juil. 2020
14 j'aime
1
Du même critique
Un film. Deux notions. La beauté et la mort. Avec Nicolas Winding Refn et The Neon Demon, la consonance cinématographique est révélatrice d’une emphase parfaite entre un auteur et son art. Qui de...
Par
le 23 mai 2016
276 j'aime
13
Les nouveaux visages du cinéma Hollywoodien se mettent subitement à la science-fiction. Cela devient-il un passage obligé ou est-ce un environnement propice à la création, au développement des...
Par
le 10 déc. 2016
260 j'aime
19
Le marasme est là, le nouveau Star Wars vient de prendre place dans nos salles obscures, tel un Destroyer qui viendrait affaiblir l’éclat d’une planète. Les sabres, les X Wing, les pouvoirs, la...
Par
le 20 déc. 2015
208 j'aime
21