Hawks n’a fait « que » cinq westerns, mais il est parvenu à y déployer toute la diversité du genre. Après le film de convoi (Red River) et avant ceux d’une ville aux abois (Rio Bravo et El Dorado), La captive aux yeux clairs est son exploration du western pro-indien.
Concentré autour de la figure de Kirk Douglas, le film se distingue de ceux consacrés à l’inévitable figure du patriarche qu’occupe d’habitude John Wayne. Douglas, c’est une forme d’immaturité solaire, qui se traduit par des chansons, un sens de la fête, et des beuveries dans de grands éclats de rire.
De ce fait, le film peut un peu déstabiliser au départ : on semble assez loin de la mythologie coutumière du western, et la gravité noire qui peut l’accompagner, comme chez Mann ou Daves par exemple. La singularité du cinéma d’Hawks s’affirme ici, et on la retrouvera dans la majorité de ses westerns : dessiner des portraits, et les rendre attachants par une insistance marquée sur le charisme, lequel prendra toute son ampleur dans des péripéties d’un parcours presque ludique, dont l’aspect un peu littéraire est renforcé par le recours à la voix off, qu’on avait déjà dans dans Red River. La différence réside principalement dans l’incursion de la comédie, qu’Hawks avait déjà voulu intégrer dans ce précédent western, mais Wayne avait refusé ce mélange des genres. La légende prétend qu’il en aurait formulé le regret en ayant vu le résultat avec Kirk Douglas.
La captive aux yeux clairs est ainsi avant tout un film d’aventure : c’est l’épreuve du halage d’un bateau qui traverse des terres sauvages, la cohabitation plus ou moins pacifiée avec les populations indigènes : plans larges, scènes collectives sur l’effort physique, mise en valeur de la nature. Dans cet espace édénique dont les ressources semblent inépuisables, la présence de l’homme blanc est forcément un problème : la fièvre de la convoitise, la course à l’exploitation en fait un prédateur sur tous les fronts. Par le déséquilibre de sa présence, mais aussi la façon dont il force les indiens à se positionner. Ainsi, dans ce melting pot où de nombreuses langues se mélangent, la vision est loin d’être utopique : seuls les indiens semblent garder leur intégrité, tandis que les nouveaux venus ne cessent de se trahir, employer des chemins de traverse et tenter de tirer leur épingle du jeu. La rivière devient dès lors tortueuse, et ses courbes autant de revirements possibles d’une communauté qui peine à se stabiliser.
A l’échelle des individus, on retrouvera ces atermoiements par l’amitié compromise sur fond de rivalité amoureuse. Le fait que cet amour soit mixte ajoute évidemment à la partition.
La conquête des grands espaces par les trappeurs aura permis à Hawks de poursuivre la trajectoire de Red River : il est désormais temps pour lui d’investir les villes, par la trilogie qui confirmera sa place de choix dans l’histoire du western : Rio Bravo, El Dorado et Rio Lobo.