J'ai découvert La Casa Lobo par le prisme du réalisateur Ari Astier qui en parlait dans la très bonne Web série Vidéoclub pour Konbini. Juste quelques images et déjà un pouvoir de fascination absolue face à un univers qui semblait assez unique en son genre. La Casa Lobo est un film d'animation chilien en stop motion qui va demander cinq ans de travail à ses deux réalisateurs Cristobal Leon et Joaquín Cociña qui vont œuvrer selon une sorte de dogme créatif en dix points pour aboutir à un film qui ressemble bien plus à une œuvre d'art en perpétuelle mouvement qu'à un produit de divertissement grand public. La Casa Lobo est une proposition de cinéma radicale et expérimentale, une œuvre exigeante presque hermétique, un film qui pourra ennuyer voir agacer une grande majorité de spectateurs et le pire c'est que c'est tout à fait compréhensible.
La Casa Lobo nous raconte l'histoire de Maria une jeune femme qui s'enfuit d'une communauté sectaire du Chili tenue par un ancien nazi et très inspiré par la Colonie Dignidad. La jeune fille trouve refuge dans une maison isolée dans les bois dans laquelle elle tente de se préserver du Loup qui continue de rôder aux alentours. Dans cette maison qui change au grès de se humeurs et ses fantaisies Maria tente de créer une famille avec deux cochons qui deviennent ses enfants …
La Casa Lobo est avant toutes choses un fabuleux et fascinant poème visuelle que les deux réalisateurs ont donc construit selon des règles strictes pour que le film soit un immense plan séquence avec une caméra toujours en mouvement et devant laquelle sans coupure ni plan noir tout soit perpétuellement en construction, destruction et reconstruction. On se retrouve donc aspirer dans une sorte de mouvement perpétuelle au sein d'un fascinant cauchemar dans lequel le décor change et les personnages sont en constante mutation devant nos yeux. C'est tellement unique que c'est presque difficile à décrire, imaginez un espace vide dont les murs se peignent au fur et à mesure, des éléments du décors se dessinent sur les parois et deviennent des volumes, un visage apparaît sur le mur, devient un personnage dans un subtil jeu d'illusion d'optique et de création visuelle, puis une porte se dessine, elle s'ouvre on s'engouffre dedans, dans cette nouvelle pièce des chaises et des tables en volumes cassés se reconstituent face à nous, on s'engouffre dans un couloir pour arriver dans une pièce avec une tête en papier mâché posée sur un lit et dont le corps devient petit à petit volume avec des bandelettes de papier et ça continue comme ça encore et encore dans un tourbillon de trouvailles visuelles et de créations artistiques magnifiquement inquiétantes. On est dans un véritable univers onirique, symbolique, mental et cauchemardesque, il n'est pas exclus d'ailleurs que tout le film ne soit qu'une projection mentale d'un rêve de liberté pour le personnage principal. La Casa Lobo est à la fois fascinant et oppressant et certaines séquences surréalistes, glauques et insaisissables mettent carrément mal à l'aise par la rugosité de l'aspect art brut qui s'en dégage. Ne serait ce que visuellement La Casa Lobo mérite d'être découvert et de tenter l'expérience quitte à l'abandonner au bout de quelques minutes, ce film est pour moi juste une pure merveille de tous les instants.
Thématiquement et d'un point de vue narratif le film est accompagnée d'une voix off qui murmure et chuchote pour nous accompagner dans ce singulier voyage. Le film s'aventure sur la voie du conte surréaliste en faisant de nombreuses références aux contes de fées comme Les Trois Petits Cochons, Blanche Neige, Hansel et Gretel et bien sûr au grand méchant loup qui attend perpétuellement derrière la porte. Un loup symbole du pouvoir autoritaire et dictatoriale de cette secte prompt à dévorer les âmes et unifier les esprits dans des doctrines mortifères. Le film laisse libre court aux interprétations et aux ressentiments et l'on pourra y voir aussi une fuite mentale et désespérée d'une jeune fille captive et prise aux piège dans les dogmes sectaires de cette enclave nazi au cœur du Chili dans laquelle régnait souvent tortures et viols sur mineurs. Cette Casa Lobo en perpétuelle mutation ressemble à une lutte interne pour garder sa capacité d'évasion mentale, sa propension à toujours rêver, son désir de liberté face à une noirceur qui ne cesse de revenir nous hanter comme ce flux de peinture noire qui vient parfois se déverser à l’image.
La Casa Lobo est une œuvre d'art, vous pourrez passer devant sans vous arrêter ou au contraire rester devant comme fasciné dans un premier temps par l'incongruité de l'objet. Puis presque sans le vouloir la fascination de l'objet finira par pénétrer vos sens, bousculer votre esprit, torturer vos méninges jusqu'à venir titiller vos sentiments profonds et comme par magie provoquer l'émotion la plus pure. La Casa Lobo est un film dans lequel on rentre par les yeux mais dans lequel on reste par l'esprit et on ressort par le cœur.