Peu de surprise à la présentation du nouveau film de Pedro Almodovar, qui creuse le même sillon des portraits de femmes, des liens familiaux, de la maladie et de la mort. L’innovation est à chercher dans la délocalisation, pour son premier film en langue anglaise avec deux comédiennes de renom, Tilda Swinton et Julianne Moore qui se prêtent parfaitement à l’exercice du mélodrame. Une variation, en somme, au sein d’un cadre familier, où la photo fait toujours la part belle aux aplats de couleurs, la diction est posée, quasi théâtrale, et tous les ressorts exploités pour submerger d’émotion.
Cette idée de chercher à implanter ailleurs les mêmes thématiques outrepasse par ailleurs largement le cadre géographique. À l’image de ses deux protagonistes, érudites et lettrées, il convoque de multiples références de la peinture, du cinéma et de la littérature pour revendiquer le caractère universel de leurs réflexions – et de sa propre écriture. On n’est pas loin du Woody Allen dernière période, qui parcourt le monde (dont l’Espagne d’Almodovar à deux reprises), investit les élites et des villas luxueuses avec la satisfaction des cartes postales de prestige, à la différence près qu’Almodovar semble encore se prendre très au sérieux.
Car dans cette histoire somme toute convenue d’euthanasie, le cinéaste travaille davantage les à-côtés que le sujet central. À grands renforts de flash-backs, il tente de donner chair à l’histoire d’une femme sur le départ, que ce soit dans son rapport au réel, (l’occasion d’un nouveau portrait de la reporter de guerre, décidemment très en vogue depuis quelques mois après Civil War, Lee Miller et À son image), à sa fille ou son père.
L’image récurrente des flocons de neige métaphorise assez bien l’écriture d’Almodovar, qui procède surtout par saupoudrage : entre les femmes, quelques remarques sur le sexe, le vieillissement des corps, une figure maternelle déficiente ; et dans le pays visité, un best-of laborieux des préoccupations de l’époque, avec changement climatique, capitalisme en bout de course, extrême droite et fanatisme religieux.
On peut lire çà et là que le film serait un sommet de pudeur et de retenue : la question est réalité de savoir quelles sont ces intenses émotions qu’on aurait le tact de ne pas laisser éclater au grand jour – et que la très pénible et constante musique ne cesse pourtant de rappeler la potentielle existence. Almodovar, qui convoque à l’excès John Huston adaptant, en pleine agonie, The Dead de Joyce, ou la figure tutélaire de Bergman (Persona, jusque dans certains plans de superposition des visages), proposera beaucoup de chuchotements, mais bien peu de cris. On pourra, en surinterprétant, trouver quelques complexités dans ce rapport entre femmes, où l’une vampirise l’autre pour sa propre écriture – il est à ce titre ironique de constater à quel point l’écriture du film surligne avec lourdeur le fait que la romancière est terrassée à l’idée d’écrire sur la mort. De la même manière, Martha pourrait faire de sa posture un jeu dans lequel son ego aurait encore à gagner. Mais les seules aspérités que proposera Almodovar se résumeront à de poussifs ressorts (une pilule oubliée, une porte fermée, un interrogatoire tendu) sans autre conséquence qu’une petite relance narrative.
Voilà le programme : de la neige, des dialogues redondants (« n’oublie pas que je vais mourir », « oh s’il te plait ne me dis plus ça »), le sirop des mélopées musicales, et une imagerie impeccable, qui reproduit le tableau d’Hopper accroché dans le salon de cette luxueuse villa. Les deux femmes se demandent, en arrivant, s’il s’agit d’un original ou d’une copie, question qui peut se poser face à cet exercice de style où la mort elle-même est dévitalisée.