Le convoi des caves se rebiffe.
Après plusieurs années d’abstinence en matière de western, Ford remet le sujet en selle pour un film fondateur d’une immense part de sa filmographie à venir. C’est la rencontre avec Wayne pour un rôle d’importance, et la mise en place de ce subtil équilibre entre galerie de portraits et western aventureux.
Le fait de voir Ford s’inspirer de Maupassant pour son intrigue est en cela révélateur : la micro société se réunissant dans l’adversité va permettre un échantillonnage savoureux et bigarré. Le médecin alcoolique, la femme d’honneur, le dandy en quête de rédemption et le banquier escroc encadrent le couple de proscrits qui va évidemment focaliser l’attention : la prostituée et l’évadé sont ceux par qui la solidarité va surgir, tandis que chaque personnage révélera sa part d’ombre ou de lumière sous le vernis d’un archétype. On retrouve toujours chez Ford ce goût pour les renversements, les alliances entre le shérif et son prisonnier (comme celle entre Earp et Doc Holliday dans La Poursuite Infernale), la mort et la naissance, la tuerie et les soins. Au sein de sa diligence, c’est une comédie humaine qui se déploie, d’autant plus efficace qu’elle est galvanisée par la proximité. Avec un sens du détail d’orfèvre, Ford décline les regards éloquents des amours naissantes et des rivalités larvées, étudie la place des corps qui s’entrechoquent ou s’épaulent. Portraitiste hors pair, il parvient à donner chair à chacun des occupants sans qu’il soit nécessaire de les faire parler outre mesure, tant leur visages et leur gestuelles sont pertinents et expressifs.
L’arc narratif, celui du danger extérieur, fonctionne avec les points de relais où l’on mesure la présence ennemie, dans cette économie classique convergeant vers l’affrontement final. Avec une certaine audace, Ford embarque sa caméra sur la diligence pour nous montrer son entrée dans l’eau, faute de pont, et pose les bases d’un plan qui deviendra aussi récurrent que célèbre : ce panoramique quittant le convoi dans la plaine pour révéler la présence des apaches les guettant sur la crête, alignés sur leurs mustangs.
La scène d’attaque sera, comme toujours, à la hauteur des attentes, horizontalité poussiéreuse et enlevée où les flèches répondent aux détonations, les chevaux chutent, les héros s’affirment et les couards se révèlent.
On retiendra particulièrement la gestion parfaite de Ford entre les plans d’ensemble, consacrés à la dimension épique de sa séquence, et ceux de l’intérieur destinés à poursuivre la dynamique complexe des personnages qu’il refuse d’abandonner en cours de route. Exemple entre tous, cette splendide main de Carradine braquant sa protégée pour la soustraire à la fureur apache, et qui finit par retomber. Tout le cinéma de Ford est concentré dans cet insert absolument magnifique.
Saturé d’intelligence, douée des meilleures intentions, La chevauchée fantastique est une œuvre fondatrice, séminale de tout ce qui fera la grandeur de John Ford, et dans laquelle un indice réjouissant nous indique qu’elle est encore habitée par l’optimisme de la jeunesse : c’est un couple qui part vers l’horizon alors que le mot fin s’affiche sur l’écran.
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