Quel bonheur de revenir aux sources de l’un des plus fascinants réalisateurs du dernier quart du 20e siècle, le polonais Krzysztof Kieślowski. Il y a dans son premier long métrage de fiction LA CICATRICE, plusieurs éléments qui nourriront ses œuvres marquantes, particulièrement son colossal LE DÉCALOGUE : le devoir moral de ses personnages principaux, l’importance du hasard dans la vie des gens, la mince démarcation entre le bien et le mal et le poids des structures du système communiste polonais.


Cinéaste engagé, Krzysztof Kieślowski tourne LA CICATRICE après de nombreux courts et longs métrages documentaires en plus d’un téléfilm. Ayant fréquenté la célèbre École nationale de cinéma de Łódź d’où proviennent les plus grands réalisateurs polonais (Wajda, Polanski, Skolimowski, Zanussi et plusieurs autres), la créativité de Kieślowski lui permettait de déjouer la censure. Mais ses astuces le rattraperont avec son 3e film, LE HASARD, interdit pendant plus de 5 ans.


Dans un style très proche du cinéma vérité, Kieślowski utilise habillement l’efficacité nerveuse de ce courant documentaire tout en y rajoutant la complexité de son protagoniste, l’ingénieur Bednarz, déchiré entre ce qu’il doit faire et ce qu’il pense être la bonne marche à suivre. Les quelques scènes de réunion du parti démontrent l’ampleur du talent de mise en scène de l’auteur de LA DOUBLE VIE DE VÉRONIQUE. La caméra passe du visage d’un des membres à un autre sans jamais perdre de vue le propos de l’échange en cours. Difficile de croire qu’il ne s’agit pas d’une véritable rencontre du parti communiste.


Revoir ce film aujourd’hui en pleine période de coupures et d’austérité montre que la corruption et l’abus de pouvoir face aux conditions difficiles des travailleurs ne datent pas d’hier. L’écho de LA CICATRICE résonne encore même si le contexte géopolitique a complètement changé, preuve que Krzysztof Kieślowski savait saisir l’essence même d’une époque, au-delà d’un cas précis. Comme dans tous ses films qui suivront, Kieślowski place l’humain avant tout, utilisant les composantes parfois contradictoires de la personnalité de ses personnages.


Encore loin des élans poétiques appuyés par la musique spirituelle de son futur collaborateur Zbigniew Preisner, Kieślowski illustre quelques scènes à l’aide de la musique industrielle de Stanisław Radwan, parfaite pour témoigner de l’inquiétude ambiante. Si la direction-photo de Sławomir Idziak (qui collaborera à quelques films suivants de Kieślowski, dont LA DOUBLE VIE DE VÉRONIQUE et TROIS COULEURS: BLEU) cadre bien avec l’idée d’un certain réel filmé, il est intéressant de découvrir des plans typiquement « Kieślowskiens », comme la réflexion déconstruite de l’ingénieur dans une fenêtre annonçant l’état d’esprit de celui-ci. Ou encore la caméra qui suit un manifestant escaladant une cheminée de l’usine, armé d’un drapeau rouge, pour se rendre compte en continuant le panoramique vers le haut, tout le chemin qu’il lui reste à faire.


Très souvent dans l’histoire du cinéma, le premier film d’un cinéaste important possède en lui les principales préoccupations qui nourriront son œuvre à venir. LA CICATRICE en est un parfait exemple, plaçant au cœur du cinéma de Krzysztof Kieślowski le sort de ses compatriotes. Mais bien au-delà de ça, Kieślowski trace les bases précises de son point de vue sur l’humanité qui l’entoure, à une échelle locale mais aussi bien à l’extérieur de ses propres frontières, barrières symboliques entre tous les êtres humains que nous sommes.

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le 4 juil. 2017

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Daniel Racine

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