Il semble que le réalisateur Henry King et son scénariste n’aient pas compris grand-chose au roman de Han Suyin, Multiple splendeur, si tant est qu’ils l’aient lu. De cette histoire complexe, où la romance s’inscrit au premier plan d’une toile de fond historique violente et confuse, le long métrage ne conserve que l’intrigue sentimentale qu’il enrobe de mauvais sucre hollywoodien pour faire pleurer dans les chaumières. Que sont devenus les tableaux vivants des villes investies, ici Hong Kong, symbole du cosmopolitisme occidental, et Tchoungking, symbole de la Chine traditionnelle ? Où sont passées les Jeunesses communistes et leurs actions ?
L’art du roman résidait dans sa dispersion, dans sa capacité à embrasser une révolution politique et culturelle par une proximité avec les partis représentés. Rien de tel ici, sinon un saupoudrage exotique plein de coutumes bizarres et de papillons porteurs de bonnes nouvelles. Même le dilemme de Suyin subit une déportation dommageable de son sens : la jeune doctoresse était tiraillée entre les traditions médiévales de la Chine et l’avènement d’un communisme synonyme de libertés, non entre un idéal capitaliste – il n’est question que de partir pour l’Amérique, terre de tous les possibles – et un ancrage oriental qui confond d’ailleurs culture traditionnelle et communisme. Le film ne comprend pas la fracture politique qui divise le pays, parsème sa nunucherie de références prétendument savantes ; il témoigne sans doute de la persistance du maccarthysme à Hollywood qui, au moment de la sortie en salle, subit d’importants revers. Seules valent la séquence de clausule, très belle, ainsi que la partition musicale d’Alfred Newman, somptueuse en dépit d’une tendance à matraquer encore et encore le thème principal dès que les deux amants sont réunis – c’est-à-dire trop souvent.
Voilà donc une adaptation édulcorée et infidèle d’un grand roman de la littérature chinoise ; les variations du style d’écriture ne trouvent aucune translation dans la mise en scène de Henry King, d’une platitude déconcertante. Que le mélodrame hollywoodien ait droit de cité n’est pas ici la question ; mais qu’il déforme à ce point Histoire et littérature ne saurait être défendu.