Il faut absolument saluer, avec La Dernière Campagne, la fin confirmée du tabou qui interdisait la réalisation de films sur les hommes politiques vivants, en fonction ou même récemment morts. Nous nous rapprochons de ce fait des pays anglo-saxons qui, depuis longtemps, n’hésitent pas à aborder des sujets politiques parfois très sensibles dans leurs productions cinématographiques et télévisuelles. Une fois n’est pas coutume, ce rapprochement sera certainement bénéfique au rapport que nous entretenons avec le monde politique qui, s’il est mis à nu, aura peut-être tendance à ne rien avoir à cacher.
Il faut alors espérer que d’autres sujets que la période Nicolas Sarkozy seront traités, non pas que celui-ci est inintéressant mais la République a certainement d’autres histoires à raconter et d’autres secrets à livrer. Dans La Dernière Campagne, l’idée a été de partir de la déclaration de Jacques Chirac fin 2012, affirmant qu’il voterait pour François Hollande lors de l’élection présidentielle de 2013. De ce point de départ, Bernard Stora imagine un Chirac qui, dans ses rêves, apporte un soutien secret à François Hollande pour qu’en effet, il remporte cette élection. Le résultat donne des scènes imaginaires plutôt drôles où deux hommes qu’à priori tout oppose font passer leur estime réciproque par-dessus les clivages politiques, au service d’un but commun.
Une partie du casting de La Conquête, qui traitait déjà un sujet similaire, se retrouve ici. Bernard Le Coq reprend le rôle de Jacques Chirac qui semble avoir été cousu sur mesure pour lui, Michel Bonpoil reprend celui d’Henri Guaino, nègre attitré de Nicolas Sarkozy qui lui, est joué par un Thierry Frémont très dérangeant tant il incarne à merveille l’ex-président. Où s’arrête l’imitation et où commence l’interprétation ? Il est très difficile de le dire, comme il est difficile d’expliquer s’il vaut mieux copier le modèle où le transformer dans ce genre d’exercice. D’autant que le film s’inscrit ouvertement dans un mélange de réalité et de fiction et il n’est pas toujours simple de faire le tri entre les deux, contrairement à La Conquête où la fiction était presque inexistante.
L’aspect le plus proche de la réalité et qui frappe le plus dans ce film, c’est le personnage de Jacques Chirac. Ici il n’est fait aucun mystère de la maladie d'Alzheimer qui semble le poursuivre depuis qu’il a cessé d’occuper ses fonctions. On sent un homme désemparé par le vide qui occupe sa vie depuis qu’il s’est retiré et par le temps qui semble l’avoir rattrapé depuis. On imagine cette vie si intense pendant plusieurs décennies, faite de contact, de voyages et de responsabilités écrasantes pour ces hommes, quoi qu’on en pense. C’est comme si le temps avait été suspendu pendant toute cette période, comme si l’âge et la maladie étaient sur une voix de garage et attendaient l’heure de la petite mort que représente une fin de carrière politique, ils viennent alors frapper beaucoup plus fort que chez le commun des mortels. L’ex-homme politique prend alors dix ans d’âge en quelques mois. Chirac est ici presque pathétique et, au-delà des opinions, on se sent pris d’empathie pour un homme passé du statut de premier Français à celui d’oublié.
En revanche, comme dans La Conquête, on assiste à une foule se scènes sur les coulisses de la vie politique et de la campagne électorale. Certains propos tenus, certaines méthodes employées et certains comportements font froid dans le dos et laissent penser que la politique et un univers de tueurs à gages dans lequel la morale est souvent abolie. On se doute de ce genre de choses, mais il faut reconnaître que les voir prendre forme sous nos yeux a un côté peu ragoûtant. Cela reste un mal nécessaire, tout comme le film de Bernard Stora, dont on espère qu’il est le premier d’une longue liste de films de télévision qui, peu à peu, viendraient remplacer Joséphine Ange-Gardien et Louis La Brocante car après tout, la politique est aussi faite d’utopies.