La série Suzumiya Haruhi, c'est avant tout sa seconde saison, tristement célèbre, qui aura eu le mérite de calmer une horde très bruyante de fans. Le désavantage, c'est qu'il n'y a plus autant de monde pour apprécier un certain chef-d'oeuvre sorti en 2010. Ce film précisément.
Pour les néophytes, les aventures de Suzumiya passent d'abord par ses light-novel. Les deux premières saisons équivalaient aux trois premiers tomes plus un peu du cinquième. Le film se base ici sur le 4ème volume de Nagaru Tanigawa, et se dénote du format habituel, après le 1er tome en tout cas, car ne se divise pas en plusieurs histoires individuelles. Le scénario devient ainsi plus long et l'auteur en profite pour écrire un livre moins folichon. Considéré jusqu'à ce jour comme l'un des meilleurs tome de la série, La Disparition était une excellente occasion pour produire un point d'orgue retentissant.
Difficile de ne pas spoiler mais faisons de notre mieux. Comme le titre l'indique très clairement, la trame se met en place avec la disparition d'Haruhi. Le générique commence que nous nous retrouvons naturellement dans les pensées de Kyon. Tout débute joyeusement, même la musique de la série TV, en version orchestrale tout aussi entraînante, recouvre un climat peu turbulent. A l'approche de Noël, notre héros espère une fin d'année paisible. Mais le jour suivant, Kyon se rend compte que Suzumiya-sama n'est plus là, plus personne dans sa classe ne s'en rappelle. Rapidement, ou pas, Kyon se rend compte qu'il s'est réveillé dans un univers où Haruhi n'existe pas... *bum bum bum*.
Au niveau des personnages, l'attention s'axe toujours sur Kyon, le véritable héros de la série. Heureusement, Tomokazu Sugita offre une très bonne prestation dans son doublage car ses monologues composent la majeure partie du film, c'est bien simple il n'y a pas un seul dialogue sans lui et a le monopole total de la narration. Si on ne la voit que peu de temps, Haruhi bien qu'invisible occupe une place fondamentale. Une histoire d'amour n'a pas besoin de triangle farfelus ou autres perfidies dramatiques guidés par la jalousie. Enfin, le troisième personnage central, Yuki. Si notre chère intelligence artificielle a eu une place prépondérante sur les affiches de cinéma, ce n'est pas pour rien : Yuki a totalement changé pour devenir une adolescente terriblement humaine et timide, je dirais même pitoyable dans le premier sens du terme.
De toute la brigade, Nagato et la salle de littérature sont les seuls éléments tangibles pour un Kyon totalement perdu, ce qui force un certain rapprochement entre les deux personnages. Ce nouveau développement constitue sans aucun doute l'aspect le plus intéressant du scénario et lors de certains passages, l'envie irrépressible de serrer Nagato dans vos bras se déclarera de manière incontrôlable, ou alors c'est vous qui n'êtes pas humain.
Kyoto Animation prend une fois encore pour la franchise d'Haruhi une posture péremptoire. Après un mélange temporel de la première saison, après une saison infinie lors de la seconde, le temps se joue de nous cette fois-ci avec un film de la durée de 163 minutes. 163 minutes c'est long, cette décision n'a pour but que de rester fidèle au livre, et niveau adaptation c'est totalement réussi, vraiment. Certes quelques passages ont été altérés mais les modifications apportées ne sont là que pour embellir davantage nos écrans. La Disparition de Suzumiya arrive à dépasser l'oeuvre originale de par l'excellente maîtrise du script et par toute la vie qui en émane, un exploit rarissime.
Evidemment le choix de produire un film aussi long n'est pas sans inconvénients. Je suis certain que de nombreuses personnes trouveront l'intrigue trop longue, le début trop lent. Mais quant à moi, et cela reste ma critique après tout, je ne peux que me réjouir de cette construction mesurée : les producteurs ont opté pour un canevas non rushé, une oeuvre posée qui prend soin de préparer un résultat final vibrant. Nous sommes loin de la futilité de la seconde saison, le comique frise ici le zéro, notre cosmos est davantage touché dans sa sensibilité, le chatarsis se joue sous une scène d'ombre. Il n'y a plus de sos-dan, l'essentiel se passe avec Kyon et ses réflexions dans un monde sans Haruhi, un monde qui nous paraît devenu bien moribond.
Le graphisme en de manière générale très bon. Le chara-design gagne en finition et se montre plus proche de la première saison grâce à des traits plus appuyés. On appréciera le travail apporté à de nombreux détails : au niveau des paysages, de certains plans 3D et d'effets de lumière. On saluera aussi le langage du design lors d'une certaine scène de monologue. Je ne pensais plus pouvoir être autant touché après l’innocence d’une première lecture, mais je me suis trompé.
La musique mériterait sa propre critique si je n'étais pas un manche dans ce domaine. En excellente synergie, les différentes compositions se révèlent tantôt être un compagnon subtil, et tantôt permet de nous enluminer lors des scènes clés du film. On remarquera en leitmotiv l'oeuvre d'Erik Satie à travers ses gymnopedia et gnosiennes. Autre point, l'OST contient, il me semble, certains morceaux non-utilisés. Dommage car l'oeuvre musicale n'atteint son excellence qu'avec le contexte du film et on ne peut pas en profiter pleinement si on l'écoute sur le côté. Dans tous les cas, une OST solide et diversifiée qui remplit parfaitement son rôle.
Non-objectivement bien sûr, la Disparition de Suzumiya reste un des meilleurs film que j'aie pu voir. Evidemment le fait d'être fan aide beaucoup, mais pour ceux qui auraient perdu tout espoir après la seconde saison, ce film est une fantastique réconciliation. Vous ne serez pas déçus.
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Attention! Danger de Mikuru Beam en vue!
Quelques pensées spoilantes, à éviter si vous n'avez pas vu le film.
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Une excellente caractéristique de l'histoire d'Haruhi réside dans la perspective de Kyon. Subjective et souvent imparfaite, elle nous donne une vision lacunaire des événements. Ainsi même à la fin du film nous n'avons pas de réponse définitive à cette question: pourquoi avoir changé le monde?
Nagato en avait-elle simplement marre? L'a t'elle fait pour Kyon qui jusque-là n'avait pas arrêté de se plaindre de sa situation? Un peu de tout ça je suppose. Mais si on ne sait pas vraiment ce qu'elle ressent, c'est pourtant l'empathie qui joue; une personne sensée être insensible apprend l'émotion dans la douleur, dans des coulisses que nous pouvons seulement entrevoir dans l'ironie de l'Endless Eight.
Kyon aussi subit une évolution appréciable. Ecoutez attentivement dans le film: quel est le premier nom qui lui vient à l'esprit quand il apprend ses malheurs? Nagato. Quel nom surgit de ses lèvres douloureuses à l'heure de sa mort? Nagato. Conscient de sa dangereuse passivité et que Yuki deviendra de plus en plus humaine, c'est Kyon qui sur le toit de l'hôpital lui proposera son aide pour la première fois. Il n'y a pas de message plus éclairant.
Je pourrais encore jacter longtemps sur Yuki Nagato. Elle à mes yeux le membre le plus intéressant de la brigade, simplement parce qu'elle évolue depuis le début de la série, ni trop vite, ni trop lentement. L'auteur prend du plaisir à la construire le long de ses livres et ça se voit. Voir Mikuru sourire n'a rien d'extraordinaire, on s'en lasse. Voir Yuki le faire coupe le souffle, ébranle la terre.
Les titres des différents livres montrent clairement qui est l'héroïne principale et la décision de Kyon lors de ce film laisse finalement peu d'ambiguïté sur les élans de son coeur. Néanmoins, il y a tellement de "shipping" pour les fans de Nagato que l'on ne peut que verser une larme devant l'impitoyable canon de la franchise. La scène sur le toit de l'hôpital est presque sadique à cet égard : une scène qui pourra rappeler à certains d'entre nous une proposition de mariage et un Kyon qui réagit avec une fougue peu commune pour protéger Yuki. Sans aucun doute Kyon veut son bonheur, mais le "harem route" ne peut pas exister et Kyon n'a pas l'air de se rendre compte qu'il est la seule personne qui importe pour notre alien à lunettes.
Jusqu'à présent, Nagato continue dans le roman son petit bonhomme de chemin. Même si c'est moins marqué, les deux tomes qui suivent le quatrième sont encore centrés sur Nagato en général, reléguant quasiment Haruhi au rang de second couteau. Mais même après, à chaque tome se trouvent des détails subtils, quelques mots pour indice, qui nous montrent une Yuki arpentant son chemin, dans le froid et la neige, à la recherche de son humanité. Je ne sais pas où ses pas mènent, mais son voyage remplit mes yeux de couleurs et d'espoir.