Le rapport à l’art, et particulièrement à l’art narratif, est un diagnostic assez cinglant de notre rapport au temps. On n’appréhende pas de la même manière la même histoire à 15 ou 40 ans : la façon dont l’âge nous polit, nous façonne, nous abime ou nous épanouit, aura une incidence déterminante sur notre regard, nos attentes, voire notre méfiance.
Pour résumer et ne pas faire peser les affres du temps sur un prologue déjà trop dilaté : j’aurais adoré voir ce film à 14 ans.
J’aurais trouvé audacieux de montage à trois niveaux temporels, qui commence par troubler avant de jouer, évidemment, les pièces de puzzle qu’on va prendre plaisir à assembler.
J’aurais apprécié cette thématique de l’écriture, de l’inspiration et de la sublimation des traumas par la création, permettant au teen-movie conventionnel (où, en un sens, Logan Lerman reprend peu ou prou le rôle qu’il tenait dans Le Monde de Charlie) avec rendez-vous à trente ans, weirdos, capitaine brutal de l’équipe de foot et amourettes ultimes de décoller vers des thématiques plus graves et réflexives.
J’aurais adoré me perdre dans ces intrigues multiples, qui multiplient les drames et les secrets enfouis (grossesse, asthme, enfant battus, pédophilie, suicides multiples) et nourrissent autant qu’ils prolongent la thématique littéraire, sans voir qu’il est tout de même ironique qu’un film sur l’écriture (exactement comme dans Nocturnal Animals, d’ailleurs) soit à ce point sur-écrit.
J’aurais été ému par la façon dont le réel s’acharne à salir l’écriture qui tentait pourtant de sublimer sa laideur, par ce rejet de la facilité du succès faisant d’un petit wasp un hobo en mode Bukowski, ces feuilles sur le sol qui disent les affres de l’inspiration, les tentations du monde soi-disant civilisé par la brune venue rivaliser avec la blonde, ces parents démissionnaires et ce père d’adoption littéraire, un roman générationnel (sur le modèle éculé de Harry Quebert, que j’aurais aussi adoré à cet âge) qui brise des vies mais en sauvent d’autres, un ascenseur vers le trépas (réminiscence de ce sommet I, Origins) le feu, les larmes, le temps, l’amour, la mort.
Je me serais allé sans prudence à ce lyrisme musical de séquences en forme de clips et de sommaires naviguant avec aisance d’une temporalité à l’autre pour dire la vanité des ambitions et l’illusion de l’adolescence, le tout avec une fougue et une jeunesse qui, en sourdine, crient encore le désir de révolte et le foi envers les passion échevelées, me rappelant que le réalisateur-scnéariste Shawn Christensen y était plutôt parvenu dans son précédente et premier long métrage Before I Disappear.
J’aurais mis de côté tout sens critique face à l’intervention d’Elle Fanning, qui a le droit de jouer un poteau télégraphique dans un film muet sans que s’étiole la moindre étincelle de son charme.
Gracieuse opportunité de conjurer la fuite du temps : à 14 ou 41 ans, certaines choses ne changent pas.