Comédie transgénérationnelle sur fond de maladie d'Alzheimer

Pour son premier film, LA FINALE, Robin Sykes narre la jolie rencontre entre Thierry Lhermitte, en grand-père atteint d’Alzheimer et Rayane Bensetti, en petit-fils irrespectueux.


La finale, premier film du réalisateur Robin Sykes, par les sujets qu’il aborde et la manière dont il les aborde, est avant tout un film sur la transmission transgénérationnelle. On ne sera pas étonné de constater que l’étymologie latine même de ces deux mots renvoie au préfixe trans, qui signifie passer “d’ici à là” ou “outre” et exprime l’idée même de changement, de trajet et de traversée. Car c’est bien de cela dont il s’agit dans La finale via le genre du road movie: aller au delà des idées reçues, faire fi du passé et de ses secrets, passer outre l’adversité et transformer son point de vue. Le road movie provoque souvent cet effet car le mouvement opéré dans un petit habitacle sur un temps limité favorise le rapprochement familial, la découverte des uns et des autres et l’appréciation mutuelle. On pense ainsi au père et son fils dans Saint Amour, ou à la grand mère et son petit fils dans Elle s’en va. Le chemin imprévu agrémenté de ses nombreuses péripéties permettra au grand-père et au petit-fils de passer de parfaits inconnus à parents complices.


Le grand-père Roland est brillamment interprété par Thierry Lhermitte et son petit-fils JB par Rayane Bensetti, révélé au cinéma dans Tamara mais surtout connu pour son rôle dans la série Clem. Un troisième personnage est pourtant à convoquer: la maladie d’Alzheimer dont souffre Roland depuis un an. Même si Robin Sykes, qu’on rencontré à Bordeaux avec Thierry Lhermitte pour la présentation de son film, dit qu’il “n’avait pas pour intention première de traiter de la maladie”, celle-ci lui est apparue comme un “moyen pratique de comédie pour instaurer un dialogue entre les deux personnages”.


La première scène du film s’ouvre sur le très actif Roland, à la tête d’une brasserie proche du Parc des Princes, et qui commence à être victime des premiers symptômes de pertes de mémoire. Roland est “librement inspiré de l’ancien présentateur sportif Thierry Roland, fort en gueule et qui tenait de temps en temps des discours un peu déplacés et surprenants, mais toujours avec le sourire”. Et c’est vrai qu’on le découvrira tout au long du film assez raciste et misogyne, mais comme le décrit son interprète “tellement sympa qu’on lui pardonne ses sorties qu’on ne peut plus dire aujourd’hui”. Mais un an plus tard, on retrouve Roland à Lyon chez sa fille Delphine (Emilie Caen) et son gendre Hicham (Lyes Salem), en compagnie de ses petits enfants JB et Pénélope. Son état s’est détérioré, il reconnait peu sa famille dont on comprend qu’il n’était pas très proche. Il se perd en chemin et se trompe souvent de maison.



“Grâce à sa sincérité, La finale est une dramédie qui ne manquera pas
à la fois d’émouvoir et de faire rire les spectateurs.”



Le réalisateur parvient à doser judicieusement les moments d’émotions en suscitant l’empathie du spectateur envers son héros, dont on assiste à la transformation progressive. Surtout, il réussit à faire rire grâce aux situations savoureusement drôles provoquées par ses trous de mémoire. Il choque aussi en montrant une scène avec un vendeur malhonnête (l’humoriste Haroun, dans son premier rôle à l’écran) qui profite de l’état de Roland. Scène qu’il a préféré “réduire au maximum, car même si elle raconte beaucoup de choses sur la nature humaine, on n’a plus envie d’en rire à ce stade-là de l’histoire”.


Thierry Lhermitte est très crédible, trouvant le juste équilibre entre l’homme désorienté qui n’a pas conscience de son état et l’homme parfois animé d’éclairs de lucidité, dont les souvenirs remontent brusquement à la surface. Robin Sykes lui offre dans La finale un beau rôle, subtil mélange de ses rôles habituels dans les pures comédies (Ma famille t’adore déjà) et de ceux, plus rares, qu’il tient dans les drames profonds (La nouvelle vie de Paul Sneijder). Thierry Lhermitte, “heureux quand on lui propose des choses qu’il n’a pas déjà faites” n’a eu aucune difficulté à se mettre dans la peau du personnage, car “le scénario était très bien écrit, drôle et émouvant”. L’acteur, par ailleurs parrain de la Fondation pour la Recherche Médicale, s’est beaucoup documenté sur cette maladie évolutive. Il a également passé un peu de temps avec le père d’un ami, atteint à ce stade de la maladie.


La relation de Roland à autrui étant biaisée par la maladie, son entourage est bien obligé de s’adapter. Sauf JB, qui ne le calcule même pas. Il le considère non pas comme un malade, mais comme un boulet, tout obligé qu’il est de lui prêter sa chambre, à un moment où l’adolescence réclame une grande intimité. Les deux ont pourtant en commun “l’inconscience et l’irresponsabilité : celle de l’adolescence et celle des surprises que la maladie peut créer au long du chemin”. Mais surtout, les deux vont se rapprocher grâce à leur passion du sport. Et la phrase “la famille, c’est comme une équipe” prendra alors tout son sens. Une famille entière qui se bat contre un adversaire- métaphore de cette satanée maladie- qui pourtant gagne toujours à la fin.


Ce premier film n’est pourtant pas exempt de défauts. On regrette d’abord l’absence d’interactions personnelles de Roland, si ce n’est d’ordre médical, avec les personnages secondaires familiaux. Le réalisateur et son coscénariste Antoine Raimbault ont volontairement mis de côté toute une partie traitant de la “différence générationnelle sur la façon d’aborder l’identité française” entre ce grand-père aux relents racistes et son petit-fils métis. Ils ont pris le parti de faire évoluer leur scénario original de façon à axer le film sur le duo formé par Roland et JB. Mais ce choix prive peut-être aussi le spectateur d’un pan de l’histoire qui aurait mérité d’être abordé si le personnage de Hicham avait été un peu plus étoffé: celle de la relation difficile que Roland a pu avoir avec son gendre, sans doute en rapport avec ses origines maghrébines.


Le film manque aussi parfois de rythme et de liant entre les scènes. Sont principalement en cause les ressorts et les circonstances un trop tarabiscotés et improbables de ce road movie. Mais grâce à sa sincérité, La finale est une dramédie qui ne manquera pas à la fois d’émouvoir et de faire rire les spectateurs. Ceux qui sont intéressés par la génétique, tout comme ceux qui connaissent une personne de leur entourage frappée par cette maladie. Et qui sait, grâce à ce film, peut-être que certains grands-pères regarderont leurs petits-fils avec d’autres yeux et que certains petits-fils se rapprocheront de leurs grands-pères pour partager leurs souvenirs avant qu’il ne soit trop tard ?


Sylvie-Noëlle


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le 21 mars 2018

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