On l’avait déjà vu avec La Foule, Vidor aborde souvent ses récits par un angle social. Le générique du début de La Grande Parade scinde ainsi la ville en trois secteurs, qui représentent autant de classes sociales desquelles vont émerger trois candidats au voyage vers la guerre en France. Un récit initiatique qui, comme on le verra dans bien des films postérieurs sur le sujet, se fait dans la violence et comprend une grande part de désillusion. Ainsi de cette antienne « We’re in the army now » sur un mode ironique et désabusé quant aux conditions de vie qu’on leur impose.
Mais Vidor ne s’en tient pas pour autant à des archétypes. A travers ses figures, il cherche aussi à créer des personnages, leur donner et chair et mettre en place une solidarité de groupe qui épaissira le caractère pathétique du conflit à venir. La durée du film est en cela essentielle. Sur un film de 2h30, le conflit n’apparait qu’au bout de 90 minutes, sans qu’on nous ait pour autant donné le sentiment d’une dilution. La romance entre le soldat et la française, charmante et bucolique, parvient à convaincre, et donne à la scène de séparation un caractère déchirant qui semble un deuxième départ pour la guerre. Perdus dans une foule qui se disperse dans des camions, le point fixe de la femme restée au sol est un des grands moments lyriques du récit.
Sur le plan visuel, Vidor retrouve au moment des scènes de combat la vigueur qu’il avait eue dans l’ouverture du récit, appliquant des filtres de couleurs sur les différents quartiers de la ville. Les surimpressions et les jeux sur les dimensions délaissent le regard documentaire et conduisent l’imagerie aux lisières du fantastique, le chaos s’opposant d’autant plus à la parenthèse enchantée dont sort malgré lui le protagoniste.
Bien entendu, la romance l’emporte, ainsi qu’une vision idéalisée de l’amitié entre les peuples : ce qu’il perd dans ses blessures, le soldat le retrouvera dans un cœur comblé dans les bocages de l’hexagone. Moins outré que chez Borzage (notamment dans son très lyrique L’heure suprême), La Grande Parade touche par sa capacité à rendre crédibles et attachants ses personnages. La guerre, sujet premier du film, n’occupe finalement qu’une partie du récit, et à dessein : chez Vidor, l’homme en temps de paix importe davantage, parce que la capacité à l’entraide, la solidarité de l’amitié ou la construction par l’amour sont pour lui la véritable geste héroïque des individus.
(7.5/10)