Les Fils de Butte

D'aussi loin que je puisse encore me souvenir je crois bien que La Grande Récré est le tout premier film que j'ai vu au cinéma lorsque j'étais tout minot, même si mes premiers vrais souvenirs restent associés au film d'animation Les Aventures de Bernard et Bianca. Pourtant La Grande Récré semble être bel et bien la toute première fois que j'ai posé mes fesses délicate et douces sur un fauteuil de cinéma sans doute rehaussées pour l'occasion par quelques manteaux faisant office de coussins. Ce qui est certain en revanche c'est que gamin j'avais adoré ce petit film que j'avais revu plusieurs fois en VHS, puis totalement oublié durant de longues années avant de m'offrir une petite et douce piqûre de rappel nostalgique.

La Grande Récré est un film qui raconte l'histoire d'une bande de gamins, le gang des autocollants, qui décident de lutter contre des promoteurs qui souhaitent transformer le terrain vague qui leur sert de terrain de jeu en un immense projet immobilier avec supermarché, immeuble et parking géant.

La Grande Récré et un film réaliser par Claude Pierson dont la carrière s'est fait essentiellement dans le cinéma érotique et pornographiques avec des titres tel que Le Feu à la Minette, Blonde Humide, Les Petites S*****, Les Collégiennes, Chaleur Intime, Deux Gamines, Viens J'Ai pas de Culotte ou les Goulues, en gros le genre de CV à vous dissuader de lui confier vos gosses pour un tournage. Le réalisateur s'illustra également dans le registre plus commun de la comédie franchouillard avec des films tel que Ah Si Mon Moine Voulait et Planque Ton Fric Je Me Pointe. La Grande Récré sorti en 1976 reste le film le plus connu et peut-être le plus apprécié de toute la filmographie de Claude Pierson.

Le film n'est objectivement pas très bon mais cette histoire de révolutionnaires en culottes courtes dressant des barricades avec candeur et innocence pour préserver leur quartier face aux mutations du modernisme est loin d'être totalement mauvais non plus. Le film se déroule sur la butte de Montmartre et nous replonge dans le Paris des années 70 et dans une société aux prémices de ses éternelles mutations. Même si la comédie est assez lourde, que le scénario ne s'embarrasse pas toujours de crédibilité et que la mise en scène est bien paresseuse La Grande Récré reste un témoignage assez touchant d'une époque qui s'avère être celle de mon enfance. Sans vouloir jouer au vieux con passéiste et outre la nostalgie très personnel lié à ce film, j'ai encore bien aimé revoir cette histoire de terrain vague, de bande de copains, d'un Paris populaire avec ses petites gens et ces luttes populaires... Le film n'est pas très drôle mais il s'en dégage tout de même une sincérité, une candeur et une fraîcheur propre à l'enfance et l'histoire de ces sales gosses contre des vilains costards cravates qui veulent voler leur immense aire de jeu reste plutôt agréable à revoir. Il flotte sur le film un petit esprit Club des Cinq, Autobus à Impériale, Guerre des Boutons renforcé d'idéaux libertaires ce qui ne seront jamais pour me déplaire.

Sans être extraordinaire la bande des jeunes acteurs et actrices est plutôt convaincante avec une sorte de Petit Gibus qui a toujours envie de pisser, un gosse fils de flic qui a du mal à se faire accepter et la seule fille de la bande qui sera obligée de montrer ses nichons pour être accepter dans la bande, mais bon elle s'en fout parce que de toute façon elle en a pas. Ah sacré Claude Pierson il a pas pu s'empêcher de foutre des nichons dans son film et même de faire un clin d'œil à ses turpitudes passées puisque l'on voit une affiche de son film J'ai droit au Plaisir au détour d'une scène. Autour de ses apprentis révolutionnaires gravitent le petit peuple des quartiers populaires de Paris avec notamment deux frères antiquaires, corsaires et anarchistes interpréter par les frères Préboist Paul et Jacques. On retrouve aussi dans le film un solide casting d'acteurs et actrices populaires de l'époque comme Roger Carel en pharmacien, Marco Perrin en chef des pompiers, Michel Galabru en commissaire de police Monique Tarbès, la grande gigue de Philippe Castelli, Yves Pignot en instituteur, Christian Marin en flic et même Michel Leeb pour une imitation de Giscard. L'humour ne vole pas bien haut, les running gags dont celui d'un peintre asiatique dont les gamins bousculent systématiquement le chevalet ne sont pas bien subtils et les dialogues rythmés par un "On est pas raciste mais ..." qui revient tout le temps ne sont pas très inspirés mais le petit plus du film se situe sous la couche un peu grasse de son humour. Mine de rien Claude Pierson préfigure les mutations des quartiers populaires, des petites gens chassés de la capitale et c'est avec une pointe d'amertume que le film se termine sur la fuite des deux antiquaires contraints de quitter le quartier, le départ désabusé d'un clochard qui s'en va rejoindre les quais et de gamins dont le terrain de jeu deviendra symboliquement un lieu standardisée de consommation; comme quoi La Grande Récré n'est peut être pas aussi con qu'il en a l'air.

Et puis mine de rien même si ce n'est pas toujours une flamboyante réussite on garde tous un souvenir ému de sa première fois.