Superbe condensé de l’œuvre de Spielberg, hybride entre le grand spectacle de Jurassic Park et l’horrible réalité de la guerre dépeinte dans Il faut Sauver le Soldat Ryan.
Je me souviens avoir vu ce film dans les pires conditions possibles, sur une télévision 4:3 cathodique dans un car lors d’un voyage scolaire, la veille de la fameuse fin du monde du 21 décembre 2012. Nous enchaînions alors les films catastrophes tels que Le Jour d’Après ou... 2012, donc. Pourtant, j’ai été happé par le film plus que les autres, et je comprends aujourd’hui pourquoi. Les films d’invasion extra-terrestre types à la Independence Day (que j’aime tout de même pour son aspect décomplexé) se contentent généralement de filmer les scènes de panique et de destruction de loin, et les foules exterminées par les envahisseurs sont souvent anonymes. La Guerre des Mondes vous met la tête dans ces foules qui ne comprennent même pas ce qui leur arrive, et ne vous laisse pas respirer une seconde.
Il s’agit d’ailleurs du premier film où je note la virtuosité de la direction des figurants lors des scènes de foule. Peu importe où l’on regarde, chaque comportement, chaque réaction est d’un réalisme donnant l’impression que chaque personnage possède sa propre histoire, et vit une progression similaire à celle de Ray, Rachel et Robbie, n’apparaissant alors que comme une famille ordinaire parmi des centaines d’autres subissant la même situation (et pour rendre Tom Cruise ordinaire, faut y aller). Ce qui rend d’autant plus angoissant de voir ces individus s’entre-tuer pour survire, une extrémité à laquelle le protagoniste est lui-même confronté plus tard. Ici, on délaisse l’affrontement manichéen pour un chaos d’un réalisme glaçant.
Le dénouement du film, hérité du roman de H.G. Wells et souvent considéré comme une facilité scénaristique, achève de me terrifier. Car ce n’est ni la force, ni l’intelligence des humains qui leur permettent de « gagner », mais bien le hasard : et sans cela, le cauchemar aurait certainement continué jusqu’au bout. Cette fin nous rappelle que nos armées et nos nations ne sont qu’une illusion de puissance.
Si La Guerre des Mondes m’a effrayé, la réaction du public à son égard l’a fait peut-être encore plus. Les critiques négatives récurrentes se plaignent précisément du génie de ce film : trop intimiste, pas assez de scènes de guerre en compagnie de l’armée, les enfants crient trop. Il semble pourtant clair que ce film n'a pas pour but d'être agréable à regarder: l'invasion extraterrestre n'est pas abordée comme un spectacle fantastique, mais comme si elle était réellement arrivée, et devait être traitée avec gravité. Que le public, aux États-Unis, ne ressente aucune empathie pour une famille contrainte de fuir la guerre après la destruction de leur foyer, quatre ans après les attentats du World Trade Center dont le film ne se cache pas son inspiration, et que ce même public souhaite suivre le parcours de l’armée ou des présidents du monde plutôt que celui de personnages de classe moyenne auxquels il pourrait davantage s’identifier, ne fait que confirmer la justesse du personnage de Robbie : aveuglé par la haine et fantasmant de prendre les armes lui-même pour sauver son pays - comme si, finalement, c’était aussi simple que dans un Independence Day. C’est oublier, comme le font la majorité des blockbuster du genre, que la guerre ne concerne pas que l’armée.