Le mec, au fur et à mesure de sa chute, il se répète sans cesse pour se rassurer : « Jusqu'ici tout va bien ... Jusqu'ici tout va bien ... Jusqu'ici tout va bien. » Mais l'important, c'est pas la chute. C'est l'atterrissage.
Voici comment commence La Haine, un film de Mathieu Kassovitz sorti en 1995 avec Vincent Cassel, Said Taghmaoui et Hubert Koundé dans les rôles principaux.
Le film commence juste après une émeute opposant des jeunes de cité à la police de la région parisienne et occasionnera des blessés, en particulier Abdel Ichacha qui est dans un état critique ... cet incident est inspiré de l'affaire Makomé M'Bowolé qui a eu lieu le 6 avril 1993.
Le premier personnage du film nous y sera présenté juste après un coup de feu ; Said, les yeux fermés, avec une poubelle brulée en fond et tous les autres clichés de la cité. Mais avec le travelling avant, on ne pointera plus du doigt les clichés, mais l'humain pendant que Said ouvre ses yeux.
Said se retrouve ensuite dans un duel digne des westerns avec la police, pour disparaître du cadre et humaniser par la suite les policiers en montrant qu'ils ne viennent pas pour Said, mais que lui, vient les ennuyer en taguant leur camion.
On remarquera très vite que Said est un personnage qui parle beaucoup que ce soit pour ne rien dire ou pour essayer de compenser son manque de force physique, au final, son langage corporel et ses actes parlent beaucoup plus pour lui que ses paroles.
Ensuite, le film nous présentera le deuxième personnage, Vinz avec encore une fois, un cliché. Cette fois-ci sur les juifs, avec Vinz en train de danser comme Rabbi Jacob ...
à l'endroit où il a caché l'arme qu'il a pris sur l'officier de police.
Tout en lui donnant par la suite, ses caractéristiques principales : antipathique, faisant le contraire de ce que la bienséance voudrait, voulant impressionner, mais qui est finalement assez burlesque (ce qui est démontré avec brio lors de la scène où Vinz imite Travis Bickle de Taxi Driver en perçant ses points noirs, d'ailleurs lors de cette scène, le passage où on voit le dos de Vinz, le miroir est transparent et il s'agit d'une doublure qui est en face de Vincent Cassel).
La présentation de Vinz, se finira sur un coup de feu contrairement à Said. Incarnant le décalage entre les deux pour passer au troisième et dernier personnage : Hubert, il sera présenté dans sa salle de boxe brulée avec des références mettant en exergue les valeurs qu'il défend. Il est la force tranquille du trio, qui veut s'en sortir d'une façon honnête, contrairement à Vinz, qui veut faire sa loi (dans ladite scène, on peut voir qu'Hubert est plus réfléchi que Vinz, en donnant un temps pour tout : un temps pour l'entrainement et un temps pour récupérer, là où Vinz est plus désordonné) ou Said qui a l'air de se complaire dans son quotidien !
Comme pour Vinz, la présentation d'Hubert se finit sur un coup de feu au moment où Vinz frappe pour la dernière fois dans le sac comme pour dire que les deux sont liés.
La Haine est un film ancré dans les années 90 dont on peut directement remarquer les références aux Inconnus (La Z.U.P) et à Taxi Driver qui est très intéressante par rapport à Vinz, dans le sens où Vinz comme Travis, est en pleine crise existentielle. Malheureusement pour lui, il ne montre pas assez de recul afin de comprendre la source de ses problèmes et trouver ses réponses. De ce fait, il projette ses tourments sur son environnement.
Mathieu Kassovitz y utilise beaucoup les plans-séquences avec des panoramiques et des travellings où les acteurs doivent avoir un timing millimétré pour pouvoir être dans le cadre au bon moment pour compenser son petit budget et laisser à ses acteurs la place pour s'exprimer.
Dans le film, Kassovitz a, à l'instar de Vinz une dualité. Celle de faire du cinéma digne de Scorsese et des grands maitres du cinéma avec un petit budget et en France !
Pour ce faire, il enchaînera les partis prix artistiques (le choix du noir et blanc pour magnifier la cité ainsi que pour faire en sorte que le film vieillisse bien en dépit de son petit budget, avec une pellicule qui n'est pas une pellicule noir et blanc " classique ", mais une pellicule utilisée d'habitude pour le son qui permet d'accentuer les contrastes), intentions de découpage et de mise en scène (comme lors des présentations, où Kassovitz nous dupe, en jouant sur la place des personnages présentés dans le cadre, les coups de feu, la disposition des personnages où Said a quasiment toujours le rôle d'arbitre pour compenser sa musculature peu développée à l'inverse de Vinz et Hub qui peuvent en venir aux mains en cas de problème, le fait de filmer avec des objectifs à courte focale lors des scènes dans la cité pour signifier que les personnages sont dans leur environnement pour prendre une longue focale à Paris en plan fixe pour signifier le décalage que ressentent les personnages).
Un jeu avec la lumière est opéré dans le deuxième acte, où la lumière entoure Hubert qui veut quitter sa cité contrairement à Vinz qui lui " s'enfonce " dans les ténèbres en voulant se venger si Abdel meurt avec Said qui a le cul entre deux chaises ...
On peut également voir un jeu sur les pronoms lors du passage où Said tombe sur une affiche " Le monde est à vous " citation de Tony Montana (et également un jeu télévisé présenté par Jacques Martin), pour le changer en : " le monde est à nous " qui impose une rupture par l'utilisation du nous, plus chaleureux et intégrant l'ensemble des personnes ainsi que soi-même, alors que vous, marque une distance face au reste des gens, en plus d'être associé au cliché du jeu télévisé où des candidats répondent à des questions pour un voyage …
Niveau sonore, on peut remarquer que dans la cité, tout resonne, il y a du bruit de tous les côtés grâce à l'utilisation d'un son stéréo (puis mono à Paris pour renforcer le calme). On passe d'Isaac Hayes à Cut Killer qui apparaît d'ailleurs dans le film avec le fameux : That's the Sound Of Da Police (même s'il le mixe avec le morceau Je Glisse d'Assassin pour qu'on ait l'air que le sample est : Assassin de la Police afin de créer une ambiguïté) !
Les acteurs du film sont aussi un grand point positif du film même si Hubert Koundé a du mal à suivre la cadence imposée par Vincent Cassel et Saïd Taghmaoui qui marchent sur l'eau durant l'intégralité du métrage.
Pour conclure, autant des films comme Qu'est qu'on a fait au bon Dieu ? ou Aladdin avec Kev Adams tomberont dans l'oubli, autant La Haine plus de 20 ans après sa sortie reste d'actualité !
Et comme diraient Joey Starr et Kool Shen, ne laisse pas trainer ton fils, si tu veux pas qu'il glisse.