La Lituanie est un pays particulier en Europe : c'est celui où le paganisme a résisté le plus longtemps, et c'est le pays européen dont la langue se rapproche le plus de l'indo-européen, avec un système d'accentuation libre et mobile qui en fait une langue très harmonieuse à entendre. Et c'est le pays dont provient Arūnas Žebriūnas (1931-2013), un cinéaste précieux.
Le titre lituanien original dit Paskutinė atostogų diena, soit "Dernier jour de vacances". Le titre français se rapproche plus du titre de la nouvelle dont s'est inspiré Žebriūnas : Эхо ("L'Écho"), du russe Youri Naguibine, auteur pour la jeunesse. Naguibine a d'ailleurs collaboré au scénario du film. Le titre russe du film est sensiblement le même que le titre choisi pour la version française : Де́вочка и э́хо (plutôt "la petite fille" ou "la fillette" que "la jeune fille", mais soit).
Dernier jour de vacances, donc dernier jour de l'enfance, si l'on veut bien admettre que c'est aussi de cela dont le film traite, subtilement : la fin des illusions de l'enfance, symbolisée dans le film par la trahison du nouvel ami de Vika (Lina Braknytė). Vika a en effet 11 ans et achève ses vacances chez un grand-père bien usé qu'elle ne reverra peut-être jamais. Il semblerait qu'elle doive entrer aussi à la grande école dès la rentrée, ce qui est un rite de passage de l'enfance à cette horrible chose : l'adolescence, l'âge du laid. Moment charnière donc. Ce concept "fin de..." récurrent chez Žebriunas. Vika écrira sur le sable, en langue russe romanisée : posledni avtobus (dernier autobus), avec un système archaïque pour mesurer le temps grâce à l'ombre qui s'allonge : un bâton planté dans le sol, que l'on appelle gnomon, comme l'aiguille du cadran solaire. Ce dernier bus doit lui amener son père, qui s'en vient la rechercher ; un père qu'elle a hâte de revoir, qu'elle redoute cependant de voir, puisque sa présence marquera la fin des vacances et l'adieu à cette liberté insolente dont Vika dispose.
Les cinémas tchèque et lituanien sont ceux de l'ère soviétique que je connais le mieux. La photographie ("écriture de la lumière") et la musique jouent un rôle important. Le photographe est Jonas Gricius, un maître. Le film a été tourné en un noir et blanc étincelant, voire scintillant, dans une station balnéaire proche de Klaipėda, sur la Baltique, entre la mer et la montagne, dans un décor assez particulier. La musique est de Algimantas Bražinskas. Lumière et musique font partie du film à l'instar d'acteurs. Ça se voit, ça s'entend. C'est travaillé, discrètement. Nous sommes loin des grands bazars hollywoodiens tonitruants. C'est de la dentelle, sans fioriture : autrement dit de l'art, pas du cinéma.
Contrairement à sa collègue tchèque Věra Plívová-Šimková (qui vient de mourir, à 90 ans), Arūnas Žebriūnas tourne avec des enfants sans faire de films pour les enfants. Il le dit et le répète, notamment dans le petit documentaire qui accompagne le film dans le DVD. Il avait observé que la censure foutait la paix aux cinéastes dès lors qu'ils tournaient avec des enfants. Par ailleurs, il était intéressé par la vision enfantine de la vie, non polluée par l'idéologie, assez pesante dans le contexte soviétique. Excellent choix.
Un film d'enfance, pour nous qui sommes restés dans le fond des enfants, avec nos petits secrets si ridicules mais si importants, nos engouements d'une heure, nos passions avortées sitôt nées. L'enfance. Tout est là. La fin de l'enfance est une mort, la pire peut-être.
Le film n'est mélancolique que pour le spectateur, s'il est un peu sensible. Lorsque son père est là, Vika n'est plus une petite fille, et lorsqu'elle embarque avec lui dans un camion de passage, elle se moque des regrets du traître navré. Vika a du caractère, elle accepte la vie et quitte l'enfance sans remords. La vie est ainsi faite, et les enfants grandissent, d'autres les remplacent, et les petites filles attendrissantes deviennent des jeunes filles, des femmes, des mères... L'éternelle fin et l'éternel retour de l'enfance, moment magique de l'existence.