Quel est ton rêve ?
Est-il de t’éclore derrière une caméra paré de milles pétales d’émotions avant de traverser un tapis écarlate dans une robe sertie de perles scintillantes ou dans la soie brillante d’un costume fait sur mesure ? Est-il de t’épanouir sur une scène où la cascade de lumière des projecteurs crache sa splendeur sur ta peau tandis que ta voix exulte cents maux et bonheurs ? Est-il de pianoter un clavier de lettres ruisselant dans tes oreilles comme le son de la pluie pour former un long écrit, le roman de ta vie, le poème de ton amour ? Tous ces rêves semblent aussi lointain que les étoiles nous dardant dans leur ciel cérulé mais la polysémie du mot nous aide à les vivres quelque fois : d’espoir ils deviennent réalité dans le sommeil, dans l’imagination s’échappant de nos âmes, lorsque badigeonnées de tabac ou d’alcool elles délirent sur la joie, ou lorsque que confortées dans quelques musiques elles libèrent les dansent de nos désirs. J’ai toujours trouvé que le jazz était une musique propice aux rêves par son histoire gorgée d'espérances, par sa virtuosité, son improvisation qui matérialise l’imprévu de nos utopies oniriques et leur pouvoir à toujours continuer. Nos rêves, c’est ce lieu où le bien et le mal disparaissent pour ne laisser la place qu’à l’alternative, tout est possible, la lutte a disparue. La La Land, par Damien Chazelle, film se déroulant dans l’espace ténue et superbe du songe est ce film sur l’alternative, est ce film sans conflit, est ce film de tous les phantasmes.
Damien Chazelle a créé un film absorbant. Tout comme le rêve accapare entièrement un esprit, le film va engloutir ses personnages dans une image totalisante et ce par le biais des couleurs. Comme Vicente Minnelli avant lui, Damien Chazelle apparaît comme un héritier de l’abstraction lyrique déployant les sentiments et créant de nouveaux espaces rien que par ses jeux sur les couleurs. Dès la scène d’ouverture, les vêtements s’érigent en arc-en-ciel au-dessus de la ville mais la scène la plus intéressante à cet égard reste le numéro de Someone in the crowd. Dans leur maison, en plan séquence, notre héroïne, Mia, et ses colocataires, vont aller de pièce en pièce et ainsi de couleurs en couleurs comme si chaque teinte restait un choix, un possible. Rien n’est négatif, les couleurs sont débarrassées de leur fonction de symbole afin d’exister pour elles-mêmes, et elles ne sont qu’alternatives sans jamais s’opposer. Damien Chazelle décide de se défaire du manichéisme séparant le blanc et le noir. Dans un film où les teintes absorbent les caractères, ces deux non-couleurs deviennent des libérations et s’unissent pour faire ressortir les visages et les réussites. Rappelons-nous de Sebastien qui se voit transporté dans un lieu d’ombres alors que son esprit divague autant que ses doigts sur les touches blanches et noires d’un piano en harmonie, ou Mia effaçant le rideau vert en faisant scintiller ses cordes vocales pour son ultimes audition.
Les ténèbres et la lumière ne s’opposent plus, au contraire, ils jouent de concert pour dessiner le rêve, et les mauvais choix n’existent plus. Le dernier regard entre Mia et Sebastian métaphorise cette idée. Ils baignent tous deux dans les mêmes couleurs, un bleu foncé saupoudré de quelques rayons violets sauf qu’autour de lui les teintes sont plus épurées tandis qu’elle est enroulée dans les caresses veloutées de ces pigments. Pourtant elle ne représente pas le mauvais choix, et lui ne représente pas le bon. Clair ou foncé, noir ou blanc, lumière ou néant ne sont que deux alternatives et rien n’est condamnable, rien n’est criminel, au contraire, tout est possible. Et c’est ce qui fait que La La Land est réjouissant.
Cette joie, ce rêve éveillé se poursuit grâce au fait que ce conte musical sur Hollywood est une fable résolument moderne. Damien Chazelle commence ainsi son film dans les embouteillages mais il parvient à transformer ce désagrément de taille en studio privilégié de mirages. La première danse de nos héros est interrompue par la sonnerie que nous reconnaissons si bien de l’IPhone à l’écran fissuré de Mia, l’initiation de leur premier baiser se voit distraite par la pellicule brûlant. Ainsi Chazelle dépeint une ville immense remplie de couleurs, de lumières, sublimée de couchés de soleil violets et d’aurores dorées, mais aussi, touchante et authentique parce que l’ancien a disparu, parce que les voitures rutilantes peuvent être enlevées par la fourrière, parce que des bars « Samba Tapas » peuvent voir le jour. La ville dans La La Land est le lieu privilégier du rêve, c’est elle qui détient les couleurs, elle qui absorbe aussi les personnages par sa multiplicité d’environnements et d’éclairages. Lorsque que Mia et Sebastian se disputent violemment, ils sont filmés de très près, séparés, et surtout dissimulés au lieu même du songe par un épais rideau vert qui crée à lui seul comme un nouvel espace hors du temps, l’espace d’un instant, celui où ils crieront.
Le rêve trouve aussi sa place dans la glorification du passé. On se lamente sur l’âge d’or d’Hollywood ou sur la douce époque où le jazz n’était pas réduit à de la musique d’ascenseur. On s’idéalise le passé, il devient fréquemment le pays de nos rêves, lorsque l’on s’imagine à un concert des Beatles ou découvrant Casablanca au cinéma. Mais là où Damien Chazelle réussit particulièrement, c’est qu’il n’offre pas un film uniquement noyé de nostalgie, critiquant allègrement notre présent fait de fragments de songes coupants. Au contraire, le rêve pour lui se tourne de tous les côtés, c’est Mia qui aime la musique que joue Sebastian qui lui-même la hait car il idolâtre le jazz. Nous revenons à cet idée d’alternative : tout est valide, celui qui conduit une décapotable rétro et celle qui roule dans sa Prius, celui qui veut fonder un club de jazz et celle qui veut s’engouffrer dans le cinéma, donc dans l’image contemporaine-même.
Le grand songe enfin, c’est l’Amour. Il y a longtemps qu’un film n’avait pas fait ressentir aussi justement cette sensation que c’est de tomber amoureux : par un flirt qui joue volontiers sur quelques taquineries intéressées, par des gros plans sur des mains hagardes se cherchant sur la moquette rugueuse d’une salle de cinéma plongée dans le noir, par des promenades, des rires. A nouveau, lors de la scène de danse à l’observatoire, les personnages sont absorbés par un ciel d’étoiles et de nuages, lilas et pervenche, ils deviennent des ombres noires déambulant dans les astres d’albâtre. Ils deviennent des allégories, ils deviennent flottants et ce tableau d’une beauté à en faire pleurer dégage tous les sentiments, toutes les émotions dans un mélange de sombre et d’éthéré. Si l’amour se sépare à la fin, ce n’est pas grave, il aura été forgé sur la matière même du rêve, dans ce qu’il a de plus englobant, de plus mythique, de plus ivre.
La La Land de Damien Chazelle c’est le rêve à l’état brut, le rêve bourré d’alternatives, le rêve rempli de couleurs, le rêve inondé de musique, le rêve de la réussite, le rêve des sentiments, le rêve du passé, le rêve du présent, le rêve qui englobe, absorbe, dans un autre lieu où l’on peut rire et pleurer, et, longuement, s’échapper.