L'intro est une petite merveille : une fantastique chorégraphie en un seul plan séquence dans un endroit qui symbolise pour le moins l'inertie et la mauvaise humeur : un embouteillage sur une rocade d'autoroute ! Le ton est donné : foin des grincheux et des pessimistes, la bonne humeur ne coûte rien et le rêve américain est à la portée de chacun.
Et c'est effectivement sur le mode onirique que La la Land s'offre à nous : un véritable rêve (conte?) cinématographique. Visuellement c'est comme un bocal de berlingots multicolores, à la fois doux, sucré et acidulé ; musicalement, les passages chorégraphiés sont inventifs, bien amenés et toujours plaisants. Et pour ce qui est du reste de la réalisation, Damien Chazelle démontre toute l'étendue de son talent de metteur en scène : cadrage, décors, rythme...rien ne semble en trop ou en moins pour un film qui réussit à répondre au cahier des charges du genre - la "comédie musicale"- tout en le renouvelant pour ce qui est des personnages et de l'histoire. Car si La la Land ressemble à un rêve, il interroge précisément le Rêve américain ou plutôt les rêves américains.
Le mot "dream" revient en effet comme un leitmotiv dans la bouche de nos deux tourtereaux mais c'est finalement pour constater que l'accomplissement de ce rêve à titre individuel s'inscrit en faux contre leur projet amoureux, contre leur rêve de couple. Et que le sacrifice de celui-ci pour la réalisation de celui-là ne constitue en rien un gage de sérénité. Et c'est de mon point de vue la très bonne surprise de La la Land : si le film épouse sur la forme le côté sucré de la comédie américaine, il en prend sur le fond le contre-pied inattendu. La réalisation individuelle, artistique et conforme au rêve américain achoppe sur ce qui résiste à toute forme de planification : le désir de l'autre, de la différence. L'amour !
La la Land se distingue également des autres films du genre dans les différents ingrédients de son scénario : ici, pas de père empêcheur de tourner en rond, de patron tyrannique ou de prétendant jaloux à "affronter". Le destin de Mia et Sebastian ne tient qu'à leurs choix propres. Certes la première doit composer avec des parents angoissés et des castings décevants et le second avec un Keith très faustien dans le contrat qu'il lui fait signer mais tous ces personnages "contrariants" ne sont que les incarnations des vicissitudes de la vie réelle.
Et précisément le film s'articule autour de cette opposition entre la réalité et les rêves auxquels aspirent les deux jeunes gens. Rêves qui renvoient à toute une imagerie, toute une mythologie propre à la culture américaine : le mythe du cinéma et celui du jazz. Mia se rêve en actrice mais n'est "que" petite serveuse, Sebastian se rêve en jazzman mais n'est "que" pianiste à la petite semaine (avec un clin d’œil amusant à "Singin' in the Rain" où Kathy et Don lors de leur première rencontre se mentent mutuellement sur leur situation professionnelle). Cet attachement de Mia et Sebastian à leurs passions, aussi empreintes de nostalgie soient-elles, le cinéma des stars pour elle, le jazz des anciens pour lui, rend leurs trajectoires d'autant plus touchantes qu'elles aboutissent à une amertume toute paradoxale. Et la conclusion, bien loin du happy end que l'on pouvait imaginer au départ, est à l'image de cette complexité qui sous-tend l'ensemble du film.
La la Land n'aurait pu être qu'une comédie (musicale) de plus mais sa richesse thématique, ses contre-pieds nombreux raviront le cinéphile là où son apparente simplicité, son efficacité, sa joie communicative combleront une large majorité de spectateurs parmi lesquels certainement beaucoup d'amoureux !
Personnages/interprétation : 8/10
Scénario/histoire : 8/10
Réalisation/mise en scène : 9/10
8.5/10 <3