Avec son premier film en 2009, Guy and Madeleine in a Park Bench, plein de personnalité mais qui avait tendance à partir un peu dans tous les sens, Damien Chazelle avait déjà attiré l'attention des critiques. Mais c'est vraiment avec son deuxième coup d'essai en 2014 qu'il se faisait connaitre du public. Whiplash est un film épatant qui avait mis tout le monde d'accord, qui affirmait le style unique de son cinéaste et qui faisait la promesse d'un cinéma audacieux et dynamique dont on n'aurait pas fini de parler. Les attentes étaient donc placées très haut avec son La La Land, film qui se doit de confirmer son auteur, surtout que les promesses du casting et du genre dans lequel il s'impose font rêver. Chazelle qui fait une comédie musicale, chose à laquelle il s'essayait déjà dans son premier film, est une évidence tellement la musique et le cinéma se confondent dans l'univers du cinéaste. Tout est réuni pour laisser rêveur et le tour de force que Chazelle parvient à faire, c'est de ne pas décevoir. Et plus que ça, il surprend constamment son spectateur grâce à un langage cinématographique inventif et grandiose.


Dès la scène d'ouverture, un plan séquence vertigineux qui voit se dérouler une impressionnante séquence de danse pendant un bouchon en pleine autoroute, on est soufflé par la maîtrise et la virtuosité de la mise en scène. Chorégraphiée à la perfection et ce à tous les niveaux, la danse et les mouvements de caméra, elle donne le "la" d'une expérience qui s'annonce grandiose. Hommage totalement assumé aux grandes comédies musicales de l'époque, on pense aux Parapluies de Cherbourg principalement, ce passage pourrait paraître gratuit car déconnecté de l'histoire, mais il souligne au contraire à merveille les intentions principales du cinéaste, à savoir trouver une magie dans l'aigreur du quotidien. Tous les personnages présentés sont des rêveurs et nous correspondent, car à un certain niveau nous avons tous des passions et des rêves à accomplir. Le film parvient à toucher de manière universelle, malgré l'aspect musical qui peut paraître très particulier et la vision intimiste de son sujet. D'un point de vue plus général, tout le monde n'aime pas les comédies musicales, pouvant être perçu comme un moyen trop insouciant de raconter une histoire, et du point de vue plus personnel du réalisateur, le jazz n'est pas ce qui est le plus apprécié non plus. Pourtant, il parvient à nous faire nous émerveiller pour ces deux choses. Elles s'entremêlent pour venir faire une parabole sur quelque chose de plus concret, la représentation d'un rêve mourant. Le jazz comme la comédie musicale font partie d'une époque révolue, deux arts qui se meurent et qui ne sont plus ce qu'ils avaient pu être.


Mais Chazelle n'est pas seulement mû par sa nostalgie, car même si il enrobe son film dans un écrin nostalgique, il reste très lucide dans ce qu'il raconte et se tourne avant tout vers l'avenir plutôt qu'il ne regarde inlassablement vers le passé. En ça, son écriture est parfaite car elle ne cède jamais aux facilités et tout se répond pour trouver un sens, rien n'est laissé au hasard, les thématiques pourtant denses du film, s'imbriquent sans jamais paraître de trop. Le rapport au rêve et à la passion s’entremêle avec la condition du couple, car à quoi bon avoir un rêve si on ne peut pas le partager ? L'histoire de ce couple est de facture assez classique, quiconque a vu le premier film de Chazelle pourrait d'ailleurs y voir un remake plus ténu et définitif dans ses réflexions, mais prenant place dans un univers si personnel, elle apparaît unique. Le style du cinéaste a une unicité assez rare, que ce soit dans la manière dont il compose ses personnages ou la diction de ses dialogues, c'est quelque chose d'identifiable et propre à lui. On sent qu'il donne de lui-même et cela sort son histoire de l'ordinaire, parce que ce dont il parle, il n'en parle pas comme les autres. Alors que beaucoup se seraient laissés aller à un message naïf dit de façon un peu niaise, lui préfère affronter la fragilité déchirante de la réalité. Malgré un romantisme affiché, il reste réaliste sur le parcours de ses personnages trouvant une justesse bouleversante dans ce portrait doux-amer de gens qui vivent la tête dans les étoiles au sein d'une société qui cherche à les étouffer. Drôle, satirique, mélancolique et parfois tragique, le scénario ne se refuse aucun excès mais garde toujours en vue une logique imparable, à l'image de ses personnages, le cinéaste brosse un récit passionné, passionnant et plein de vérités sur la quête de reconnaissance. Qui en plus est servi par un casting exceptionnel, avec en tête le couple Ryan Gosling et Emma Stone qui sonne comme une évidence. Les deux acteurs sont au sommet, lui irradie de justesse et de charisme, elle, nous bouleverse par sa performance incroyable à la densité émotive sidérante.


Mais si La La Land est avant tout un spectacle tonitruant, c'est grâce à la mise en scène endiablée de Damien Chazelle. Véritable maelstrom de formes et de couleurs, on reste subjugué devant la maîtrise incroyable de l’œuvre. Le montage brille par son intelligence, offrant une narration fluide et un rythme imparable tandis qu'on est ébouriffé par les musiques inspirées qui restent en tête et la sublime photographie de Linus Sandgren. Le traitement léché des couleurs en fait une œuvre pétillante qui conjugue dans un même plan des mélanges aussi improbables que diablement réussis tandis qu'il opère un travail sur les lumières absolument génial. La lumière est autant chorégraphiée que les danses et les mouvements de caméra, ce qui offre une osmose visuelle parfaite. Surtout qu'on voit rarement des mouvements de caméra aussi virtuoses. On reconnait les tics de mise en scène de Chazelle avec les mouvements latéraux frénétiques qui s'arrêtent brutalement sur ce qu'il veut filmer et qui jonglent entre les deux personnages qu'il veut montrer. Cela donne un côté très énergique à ses scènes et ici il opère dans un style plus aérien pour mieux profiter des chorégraphies. La caméra flotte souvent dans les scènes, privilégiant les longs plans pour ne pas gâcher les performances et permet d'offrir des fulgurances mémorables. Comme cette séquence magnifique où Emma Stone se retrouve en soirée, elle marche au milieu d'une foule qui danse au ralenti et celle-ci accélère petit à petit au rythme de la musique avant que le tout n'explose, se déchaîne et aboutisse dans un superbe feu d'artifice. Un moment magique, probablement le plus beau du film et qui vaut à lui seul le détour.


La La Land est un classique instantané. Un film qui émeut et qui ne peut laisser indifférent par son message universel, son intelligence d'écriture et sa mise en scène virtuose qui sont mis au service d'un casting mémorable et attachant. Même en n'étant pas fan de jazz ou de comédies musicales, on se laisse emporter par cette ode bouleversante faîte aux rêveurs et aux passionnés, car c'est une œuvre qui évite tous les clichés que l'on peut se faire de ce genre de film. Romantique sans jamais être niais, mélancolique sans jamais tomber dans la pose nostalgique et tragique tout en sachant être délicieusement drôle. Damien Chazelle confirme être un grand et montre toute l'étendue de son langage cinématographique, entre ses tics d'écritures et de mise en scène, il impose un style particulier, unique et très personnel mais qui fait le tour de force d'arriver à parler à tous. Son La La Land est une leçon de vie, de cinéma et de musique, passionnée et indispensable qui s'érige probablement comme une des dernières grandes comédies musicales. Un chef d’œuvre tout simplement.


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Frédéric_Perrinot
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le 21 janv. 2017

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