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« – Ok mon petit Damien, j’ai pas très bien compris ton projet, tu veux faire quoi avec 30 millions de dollars ? Montrer Hollywood qui parle d’Hollywood ? Ah mais c’est une histoire d’amour ? Mais pas une comédie romantique ? Mais avec des rappels à Blake Edwards quand même ? Avec une réflexion sur la création artistique comme dans Chantons sous la pluie ? The Artist plutôt ? Non ? Mais façon comédie musicale à la Demy ? Mais que pour la moitié du film et en dramatique ? Mais avec un emballage kitsch ? Ah non, c’est réaliste mais coloré ? Ok, je note. Avec Ryan Gosling qui fait des claquettes quand même ? »
Il n’est pas étonnant que Damien Chazelle ait mis six ans à pouvoir lancer La La Land tellement l’œuvre est dense et inclassable. Le moindre tabouret a une trajectoire mieux écrite que certains personnages principaux de blockbuster, chaque son, d’une série de quatre notes à un klaxon, a une utilité dans le scénario en apparence naïf mais en profondeur construit comme un minutieux assemblage planifié avec brio. Le La La Land ne s’épanche pas, il se tisse autour d’un squelette volontairement léger en apparence et drape d’un charme rétro un récit très ancré dans notre époque. La musique originale de Justin Hurwitz, compositeur signant tous les Chazelle, n’est donc pas la seule pépite à aller chercher ici.
Evidemment tenu par son duo : Emma Stone réussit à faire passer par ses grands yeux un large spectre d’émotions tandis que Gosling en pianiste animé par sa passion force le respect. Par son jeu d’abord mais aussi par quelques petites anecdotes comme le fait qu’il joue lui-même, ayant appris le piano en quatre mois pour les besoins du film ! Excellents danseurs, bons comédiens, les têtes d’affiche ont un charme loin de se résumer à un sourire. On évoque ici des prestations à Oscar sans honte aucune (même si on sent plus Casey Affleck cette année).
C’est donc un film formellement soigné, reste le fond qui le propulse au statut de singularité, comme une comète qui passe une fois par siècle, mis à part que la comète en question sort en blu-ray dans 3 mois et ne risque pas de se crasher sur terre pour donner des idées à Michaël Bay. Donc Armageddon>événement astronomique> La La Land. CQFD.
Bref, pourquoi c’est très bien et pas juste bien :
La comédie musicale a brillé aux USA entre deux guerres, la période allant de la victoire de la seconde et l’horreur du Vietnam a vu Un Américain à Paris ou Chantons sous la pluie apparaitre -loin d’être des conneries colorées, le second traitant par exemple de la redistribution des cartes à l’arrivée du cinéma parlant entre les nouvelles têtes et la chute des grandes stars du muet- pour s’effacer à l’avènement du nouvel Hollywood. Un âge qui ne laissait plus de places aux bluettes même acidulées, ou alors à titre anecdotique en embrassant sans ciller leur anachronisme (New York New York de Scorcese) voire contemporaine sans donner de plus-value au fait qu’une fois de temps en temps un personnage se mette à danser sur la table au lieu de simplement demander le sel (Tout le monde dit I love you pour parler d’une tentative méritant son qualificatif de curiosité).
En France c’est l’inverse, Demy est arrivé quand le genre devenait ringard outre-Atlantique, la différence notable de son approche c’est qu’il ancre ses histoires dans la réalité, préférant filmer en pleine rue qu’en studio avec un pas dans le futur niveau caméra qui s’autorise des plans touchant à l’expérimental.
Pourquoi ce rappel ? Car Chazelle, loin de proposer une simple addition anachronique à un genre clairsemé depuis 40 ans, va au contraire faire une véritable proposition de cinéma où la chanson symbolise le rêve et la création. C’est bien pour cela qu’elles s’effacent quand la réalité rattrape nos protagonistes. La La Land utilise les codes de la comédie musicale pour soutenir son propos, ce n’est pas (que) pour faire joli.
L’utilisation de la musique, ou du son de manière général, dans la narration m'a particulièrement marqué (plutôt au second visionnage d’ailleurs). Si on regarde un Demy par exemple sans le son avec juste des sous-titres (il y a un cercle des enfers réservés aux praticiens de la chose, je sais), on le comprend à 100%, La la land pas vraiment. On ne comprend l’attirance d’Emma Stone pour Gosling que lorsque sa musique en tête supplante le bruit des conversations autour d’elle, ce que joue Gosling avec le même sourire aux lèvres donne un sens particulier aux émotions qu’il dégage : joie, mélancolie, compromission, un concert a priori joyeux voire glorieux prend des allures d’enfer sur terre par le décalage que la musique pose avec ce que l’on sait de nos héros à ce stade du film. La musique n’est pas juste une illustration, c’est une façon de raconter l’histoire au même titre qu’un dialogue, un cadrage ou une mise en scène. Elle permet un deuxième degré de lecture de l'œuvre nécessaire à la narration alors que pour Demy (ou beaucoup d’autres) elle vient se coller sur la narration. Même si évidemment, l’on peut préférer qualitativement celle du Demy.
Il a appris du passé, tout est fait en studio pour permettre une mobilité totale de la caméra glissante comme de l’eau, à l’opposé de la mise en scène oppressante de Whiplash souvent qualifié de Full metal Jacket musical. Comme un Jazzman arrivant à donner l’impression qu’il improvise sans effort alors que chaque note cache des années de travail, on a un récit d’une fluidité inouïe cachant une maîtrise de chaque instant dans la mise en scène.
La réflexion sur le star-system des classiques américains sous l’angle d’attaque d’une approche réaliste à la Demy permet de parler de la cruauté de ce La La Land où rêver rime avec effort et sacrifice. Les La La du titre faisant certainement référence à L.A., la machine à rêve Los Angeles coincée dans son éternel été à mesure que défile les saisons, cœur battant de l’intrigue comme un personnage à part entière.
Difficile de dire quand je suis tombé amoureux de ce film. Pour commencer j’ai souvent vu des gens applaudir à la fin d’un film, à la fin d’une scène d’introduction c’est plus rare : séquence de pure délire excessif où réalité et monde à paillette n’ont jamais semblé si proches. Ou alors c’est sa façon d’annoncer un plan en introduisant les sons qui l’accompagnent dans le plan en cours (les plus éclairés me citeront Il était une fois en amérique et ils auront raison) pour des transitions toujours plus surprenantes, sa manière de refuser un contre-champ à la fin d’un plan séquence en introduisant un miroir sur la gauche de l’image. Ou alors peut être la seconde de silence précèdant la dernière note du film, la plus belle manière de faire ressentir toute la force de son propos pour nous retenir un instant de plus au sein du La La Land, reflet aussi fantasmagorique qu’exact de la réalité que l’on quitte avec nostalgie dès le générique.