La leggenda del pianista sull’oceano superpose deux trajectoires a priori incompatibles : la trajectoire physique d’un nouveau départ symbolisé par l’exil et l’arrivée en Amérique avec sa statue iconique ; la trajectoire musicale d’un jeune orphelin adopté qui devient pianiste et demeure amarré au navire qui le transporta jadis. Deux directions opposées : d’une part le mouvement incessant d’une renaissance dans un ailleurs, d’autre part la permanence de Danny, comme prisonnier de son année de naissance (1900) au point de l’entretenir encore et encore, de répéter la traversée dans les deux sens.


Le long métrage de Giuseppe Tornatore articule donc deux directions et semble construire une forme-sens faite de souvenirs et de réminiscences : le récit-cadre sert de base au récit enchâssé, lui-même éclaté sur plusieurs années telle la confusion d’une mémoire avant tout sensible, musicale, à l’écriture contrapuntique similaire à celle du jazz. Les mouvements de caméra, amples et fluides, confèrent à l’ensemble des allures de conte, de fable à la croisée du réel et de la fiction : le bateau se change en une entité organique dont cliquetis et fracas des machineries battent à l’unisson du cœur de Danny, véritable alchimiste du bruit puisque bercé enfant par la mécanique il le convertit en notes, en langage secret qui ne suit aucune partition sinon celle dictée par l’océan et les rencontres qui s’y font dessus. Et ce navire qui part et revient, transportant à son bord des individus régis par le même désir d’un ailleurs, pourrait être lu comme la métaphore filée de la narration : « une bonne histoire et quelqu’un à qui la raconter », voilà ce qui sous-tend les traversées grâce au piano de Danny qui raconte à sa manière, voilà ce qui structure le film dans la mesure où la parole seule déclenche le récit.


La leggenda del pianista sull’oceano est un éloge de l’invention (musicale, narrative, cinématographique) comme capacité de l’homme à créer de l’infini à partir du fini. S’engage lors de la clausule une puissante réflexion sur l’existence qui bouleverse le spectateur puisqu’elle l’invite non pas à courir le monde – « la terre est un navire trop grand pour moi », affirme le pianiste – mais à trouver son propre clavier sur lequel jouer sa musique déclinée en une infinité de variations. Porté par la sublime partition d’Ennio Morricone, le long métrage de Giuseppe Tornatore est un chef-d’œuvre de sensibilité, un conservatoire de nostalgie dans lequel résonne et continuera de résonner ce thème composé pour une passante comme le plus beau des poèmes d’amour.

Fêtons_le_cinéma
10

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le 19 oct. 2020

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