Plutôt que de décortiquer le passé par le biais du réel, La Llorona de Jayro Bustamante préfère faire parler les sens, le goût du mystique et le fantastique pour diagnostiquer les affres de l’Histoire.


S’écartant de la démarche documentariste habituelle, Jayro Bustamante réfléchit à sa mise en scène, organise ses effets de style (longs travellings) et décide alors d’aborder le génocide des indiens mayas par le biais d’une légende dont le cinéma en prend les contours fantastiques avec élégance. Depuis toujours, le cinéma de genre a été un vecteur politique, à la fois pour matérialiser une contestation et des revendications, comme en attestait, par exemple, la trilogie Zombie de George Romero. Une nouvelle fois, à travers cette histoire de pleureuse fantomatique qui viendrait hanter les coupables, le cinéma de genre accentue la portée horrifique du propos et donne par exemple une puissance supplémentaire au scène meurtrière de fin de film, dont l’identification féministe deviendra alors une évidence.


Vieux et terriblement malade, le général, responsable du génocide des indiens mayas mais finalement acquitté par la justice (corrompue?), reste cloitré chez lui avec sa famille pendant que des manifestations incessantes se déroulent autour de sa maison. A partir de cette triste et horrible réalité, La Llorona tire sa trame pour dévoiler les reflets de son huis clos asphyxiant et tout l’intérêt de sa mise en place fantastique : celui d’être un film de fantômes où le cinéma se sert de son ingéniosité pour faire naître la vérité (à l’image des visions qui rappellent Take Shelter et le télescopage identitaire des souvenirs) et où la culpabilité tapisse les murs d’une demeure où les membres d’une famille vont arrêter d’être aveuglés. La parti pris est audacieux : suivre cette tragédie par le prisme de la famille du bourreau des exactions meurtrières plutôt que de celle des victimes.


Entre un général grabataire commençant tout doucement à devenir paranoïaque, transpirant la honte, le déni et la culpabilité, une épouse acquise à sa cause mais perdue, fatiguée de tous ses mensonges pervers et mortifères, une fille et une petite fille essayant de prêcher le faux pour savoir le vrai des agissements antérieurs du paternel de la maison, La Llorona dévoile sa densité autant féministe qu’ethnique et montre qu’il fonctionne à travers les coutures d’un schéma ambivalent : celui de la dualité. Le film parle de politique par le biais du fantastique (et inversement) ; il interpelle les questionnements et les envies de justice d’une nouvelle génération face à une ancienne génération dépassée par ses remords, tout comme il inspecte l’enclos familial par l’Histoire et inversement.


Drame familial poignant, film politique pertinent qui s’interroge sur la forme que peut avoir le pardon, film d’épouvante vengeur (voire d’exorcisme où la première et l’une des dernières scènes se répondent par leur mysticité presque religieuse comme dans Zombi Child de Bertrand Bonello), La Llorona vaut aussi beaucoup pour la présence nébuleuse et mystérieuse de la nouvelle domestique de la famille : Alma, sa beauté virginale et son incroyable chevelure noire rappelant les figures horrifiques de films comme The Ring ou The Grudge. Est-elle la pleureuse, le fantôme dont la légende parle, celle qui vient hanter les coupables ? Durant une grande partie du film, le long métrage gardera ce mystère, verra la famille se disloquer autour d’elle, jouera sur les faux semblants grâce à de sublimes idées de cinéma (magnifique plan pictural dévoilant Alma qui se rince dans une baignoire telle une nymphe sortie de nulle part) et son attrait préférant la beauté de la suggestion à l’apathie de la démonstration. Une vraie belle réussite.


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Velvetman
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le 28 janv. 2020

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