Née dans les années 30 et décédée au milieu des 80's, la très prestigieuse firme Hammer films nous a offert une poignée de vrais chefs d’œuvre, une flopée de série B et un quantité non négligeable de nanards qui firent les délices de plusieurs générations de fans de films de genre, allant du thriller à l'épouvante et du fantastique à l'horreur en passant par le film de cape et d'épée.
On y retrouve des cinéastes de l'ampleur de Terence Fisher, Joseph Losey, Freddie Francis, Robert Aldrich ou William Castle, cotoyant des petits maitres de la série B à Z tels que John Gilling, Val Guest, Don Sharp, Roy Ward Baker ou Michael Carreras...
Avec l'arrêt de cette grande maison, c'était vraiment une page qui se tournait... celle d'une horreur à l'ancienne, davantage axée sur la suggestion que sur l'étalage gore, celle de la technicolor, celle des Christopher Lee, Peter Cushing ou Vincent Price, celle des Dracula, Frankenstein, Jack L'éventreur, des momies, des femmes préhistoriques, des sectes satanistes, des Jekyll & Hyde ou de Robin des bois.
Bref, gros soupir d'amour fou, de nostalgie et de mélancolie...
Et puis, en 2010, GRANDE nouvelle, la mythique Hammer renait de ses cendres avec la même ambition de proposer des séries B de genre, aux budgets raisonnables mais portées par des passionnés du genre et de rouvrir les robinet à horreur de la firme.
Cela commence même en beauté avec le très réussi remake de Morse, Laisse moi entrer, qui - bien qu'il n'égale pas l'original - parvient aisément à convaincre et à plaire...
Puis, un Wake wood pas déplaisant mais plus dispensable et le très réussi The Woman in black avec Daniel - Harry Potter - Radcliffe...
Et, entre ces deux là, la Hammer produit La Locataire: un film très méprisé à sa sortie cinéma et qui devrait trouver son vrai public en DVD et en Blu Ray. Car le film est beaucoup moins anodin et médiocre que la critique l'a trop souvent prétendu.
Pour l'attaquer, on l'a d'ailleurs bien souvent comparé avec une mauvaise foi incroyable au très fameux LE Locataire de Polanski, alors que les deux films n'ont rien à voir, ni dans le récit, ni dans le fond ni dans la forme.
Le seul film avec lequel cette Locataire pourrait être comparé est une autre série B, des années 80 cette fois, j'ai nommé le très culte Crawlspace (Fou à tuer) de David Schmoeller avec le dément Klaus Kinski interprétait avec beaucoup de conviction un ancien nazi qui épiait et assassinait ses jeunes locataires à travers un long dédale de coursives circulant derrière les murs de chaque appartement de l'immeuble.
Le film de Schmoeller jouait évidemment sur l'horreur pure autant que sur le second degré en s'appuyant volontier sur la performance comme toujours inspirée et excessive de son acteur.
Le (premier !) film d'Anti Jokkinen tente pour sa part d’œuvrer de manière plus sérieuse et plus subtile en entretenant davantage le mystère qui entoure d'abord l'identité du "voyeur" dans la première partie mais surtout en faisant baigner son film dans une atmosphère d'érotisme (soft, rassurez vous, le film reste tout public !) qui devient assez troublante, voir carrément malaisante lors de certaines révélations.
Par ailleurs, le film ne manque pas d'audace au niveau de la narration puisqu'il utilise le flashback d'une manière (à ma connaissance...) tout à fait inédite:
En effet, le film se déroule comme un assez banal thriller durant environ une demi-heure, et... soudain, de manière totalement incongrue et très audacieuse scénaristiquement, un interminable flashback nous offre une perspective totalement nouvelle en effet boomerang sur tout ce que nous venons de voir.
Révélant ainsi, d'une part, l'identité du "méchant" beaucoup plus tôt qu'à l'accoutumée mais surtout plaçant, d'autre part, le suspense à un tout autre niveau pour tout le déroulement à venir du film.
On est alors transporté dans un film d'une teneur très différente et qui parait (toutes proportions gardées) plus proche de Psychose que d'un Slasher lambda.
Et c'est d'ailleurs là que La Locataire devient plus troublant et surtout beaucoup plus inquiétant qu'il n'y parait.
Le personnage de Jeffrey Dean Morgan prend au passage une dimension qui tient autant de la séduction, et même de l'attraction sexuelle que de la terreur ou du pathétique.
L'acteur est d'ailleurs une vraie belle idée de casting car il a un vrai charisme, une beauté virile loin des standards actuels (Brad Pitt/Ryan Gosling/Bradley Cooper, en gros...) et une palette de jeu qui permet que l'on soit totalement sous son charme alors même qu'il s'avère terrifiant... (Une version plus "Bear" que celle du Norman Bates très féminin d'Anthony Perkins)
Hilary Swank (en tant que co-productrice du film) est celle qui a suggéré cet acteur à la production et on peut dire qu'elle a eu là une vraie idée de génie.
Dommage que son personnage à elle ne soit pas aussi développé et qu'elle ne semble qu'un archétype sociétal (Femme+Médecin+Post rupture toute fraîche) qu'un personnage complexe et épais. D'autant plus dommage qu'elle est formidable dans le film, comme toujours et qu'on aurait sans doute aimé que son personnage soit plus étoffé, ou plus ambigu.
C'est en effet là que le bat blesse, notamment dans ses motivations un peu étonnantes à mettre son appart sous surveillance pour si peu de motifs... Pourquoi cette parano ?
Est-ce du à l'ex-boyfriend (Lee Pace, lui aussi personnage très peu développé) ?
Le film aurait sans doute gagné à éclaircir un peu le passé de cette jeune femme afin de ne pas perdre en crédibilité sur certains points de scénario. Le seul vrai point faible du film...
Pour le reste, Annti Jokinen qui réalise là son tout premier film montre un véritable talent de directeur d'acteur autant que de metteur en scène et la Hammer ferait bien de le garder sous le coude, car, comme le dit avec beaucoup de finesse et d'humour le génial Christopher Lee dans le making off du film, ce qui rapproche ce film des anciennes productions Hammer n'est ni dans les thématiques abordées, ni dans le style du film, etc... Mais bel et bien dans l'incroyable passion pour le genre de son auteur et de sa contagion sur tout le reste de l'équipe technique comme des acteurs, faisant régner une atmosphère très joyeuse sur le tournage, comme à l'époque des grands films de la Hammer.
Cet enthousiasme et cette honnêteté sont vraiment perceptible dans le film et forcent la sympathie, malgré ses évidents - mais mineurs - défauts et je pense que La Locataire est non seulement une très estimable série B, mais que si la Hammer prospère et persiste dans cette belle ligne de production, elle est vraiment l'espoir de la renaissance d'un vrai cinéma de genre de série B à l'ancienne et elle devrait rapidement se rapprocher de Ti West, George Romero, John Carpenter ou Joe Dante, pour les faire retravailler enfin dans cette belle entreprise passionnée, créative et enthousiaste.