Malden, ou la vie dans les neiges
La première chose qui m'ait frappé dans ce film, c'est la volonté de réalisme de Nicholas Ray. Un réalisme très original pour les films policiers de l'époque et qui se voit dès la première scène : on voit les policiers chez eux, dans leur foyer, qui se préparent pour aller au travail. On devine surtout la crainte dans leur famille. Etre policier, de nuit surtout, c'est ne jamais être sûr de rentrer chez soi.
La première partie du film se déroule donc lors des patrouilles de trois policiers de nuit dans une ville. Très proche de ses personnages, Ray ne nous cache rien de la dangerosité de leur métier.
C'est dans ce cadre très tendu, alors qu'un tueur de flics se balade en liberté, que le cinéaste nous présente le personnage central du film, James Wilson (Robert Ryan). Raide comme la justice, on le devine facilement violent, facilement prêt à en découdre avec tous ceux qui insultent les policiers (et ils sont nombreux). On obtient vite la confirmation de nos soupçons : Wilson pense qu'attraper des criminels justifie tous les moyens possibles, même les plus violents. Une scène effrayante nous le montre en train de tabasser un suspect, le visage déformé par la haine.
Personnage solitaire, Wilson n'a personne pour le soutenir dans l'épreuve quotidienne que constitue son métier. Etre confronté aux pires ordures de la société, à ce monde de la nuit ultra-violent et immoral, à cette perversion constante, entraîne une perturbation morale chez le policier. Avec plus de vingt ans d'avance, Nicholas Ray propose les mêmes thèmes qui seront développés par Scorsese dans Taxi Driver.
Pour le calmer, on l'envoie à la campagne. Plus précisément, il doit aider la police locale à résoudre un meurtre dans une petite ville des montagne, sous la neige.
Le contraste est frappant quand s'ouvre la seconde partie du film. Contraste entre les ténèbres de la nuit et la clarté de la neige. Contraste entre l'espace clos des rues urbaines et l'espace ouvert, presque infini, des paysages montagnards.
Mais la violence est la même. Violence d'un meurtre sauvage. Violence aussi d'un père (incarné par Ward Bond, que les habitués de John Ford connaissent bien) prêt à tout pour accomplir sa vengeance, sa justice personnelle, à coups de fusil. Au début, on sent bien que Wilson a de l'empathie pour ce père. Tous les deux ont une conception identique de la justice : ne pas faire confiance aux lois officielles, savoir se faire respecter par la force s'il le faut.
Oui, mais voilà : entre les deux, il va y avoir une femme. Mary Malden, jeune femme aveugle dont Wilson va tomber amoureux. Et sœur d'un ado attardé mental et meurtrier.
Voilà donc un très grand film. En 1h20, Ray multiplie les réflexions, en particulier sur la justice. Il fait un film proche de ses personnages, qui sont tous remarquablement interprétés. Et il emploie une méthode de réalisation unique pour l'époque. Les scènes de courses-poursuites, dans la première partie du film, ont des décennies d'avance sur leur temps. Nicholas Ray novateur.
Nicholas Ray psychologue.
Nicholas Ray grand cinéaste, tout simplement.
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