Une certaine pudeur au sein d’un réalisme fort

LA MARCHEUSE suit le quotidien de Lin, une clandestine chinoise. Pour survivre, elle aide durant la journée un vieil homme immobilisé sur son lit qui, à défaut de la payer, lui offre le logement, à elle et sa fille. Le reste du temps, Lin doit se prostituer dans le quartier de Belleville pour gagner sa vie.


Difficile de s’attaquer à un tel sujet sans tomber dans certains pièges. Comme de vouloir s’enfoncer dans du tragique – pas nécessaire, tant cette vie a déjà une forte portée dramatique -, ou au contraire de vouloir atténuer la réalité. Naël Marandin évite les deux avec LA MARCHEUSE. Il faut dire que le réalisateur connaît bien son sujet. A la fois par rapport à la Chine en générale, où il a vécu plusieurs années, que par rapport à la prostitution à Belleville ; il est volontaire depuis sept ans pour une mission de Médecins du Monde qui travaille auprès des femmes chinoises qui se prostituent. En ayant passé des heures avec ces femmes pour les aider, les accompagner à l’hôpital ou au commissariat, ou participer parfois à des moments joyeux, Marandin parvient à reproduire un quotidien, à s’en inspirer et à le représenter avec respect pour en faire la toile de fond d’une fiction.


Par l’implication du réalisateur dans ce milieu, sa sensibilité est évidente, et c’est ce qui fait la qualité première de LA MARCHEUSE. Marandin parvient à garder une certaine pudeur au sein d’un réalisme fort. Car il fait surtout le choix de l’intime. Refusant d’insister sur le pathos, ou, à l’inverse, de provoquer un trop plein d’affection pour son héroïne. Son regard est attentif et subtil lorsqu’il s’agit de nous présenter cet univers, plus complexe qu’il n’y paraît. Nous mettant comme témoin hasardeux d’une décente policière qui arrête un lot de prostituées, ou évoquant au détour d’une conversation sur les origines de Lin, les différences entre les communautés d’émigrés chinois : les Dongbei, communauté issues du Nord-Est de la Chine sont souvent exploités comme des esclaves modernes par les deux autres communautés arrivées en France avant eux (les Wenzhou du sud-est et les Huaqiao issus d’Indochine). Un élément important dans la construction du personnage de Lin (de la communauté Dongbei) et dans l’empathie qui en résulte sur le spectateur.


Mais plutôt que de rester focalisé sur la prostitution et d’en présenter les différents aspects à la manière d’un documentaire (la solidarité des femmes, la violence de la rue), Marandin assume une histoire fictive qu’il ancre dans ce réel. Cela en incluant le personnage de Daniel, un voisin qui, pour échapper à des hommes dont il doit de l’argent, trouve refuge dans le logement de Lin. Il l’obligera à l’aider, restant caché dans l’appartement du vieil homme en attendant que la situation se tasse. Lin voit sa vie aller de mal en pis, mais également une possibilité de s’en sortir. Négociant un faux mariage avec cet homme français pour obtenir des papiers et ne plus risquer l’expulsion. Dès lors, LA MARCHEUSE porte sur la relation humaine, sur la mise en place difficile d’une confiance en l’autre, sur la déception, la peur, le besoin d’espoir, et alors même, sur le désir. Car encore une fois, l’histoire n’est pas juste celle d’une « prostituée ». Lin est avant tout une femme. Et c’est ainsi que Marandin désire la représenter, refusant qu’on l’étiquette de manière simpliste (voir notre interview).
Restant fin dans sa mise en scène, trouvant la distance nécessaire à prendre avec son sujet, Naël Marandin s’avère convaincant. Particulièrement délicat pour filmer Lin, il sait la rendre humaine sans enjoliver sa vie. Et même s’il semble se hâter sur la fin et n’échappe pas à quelques défauts, le réalisateur arrive sur l’ensemble de LA MARCHEUSE à se montrer honnête et juste.


Critique de Pierre pour Le Blog du Cinéma

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le 4 févr. 2016

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