Bad Granda, la destruction du mythe américain

L'ami Clint n'est plus ce qu'il était. Le temps des flingues et des postures charismatiques n'est plus. L'ami Clint est vieux, et il en est conscient. C'est le ressentit qui prédomine dans son dernier film, La Mule, celle d'un homme qui a abandonné les armes et qui semble être un peu sur la touche.


C'est donc curieux de voir, à quel point l'ami Clint semble dépeindre un auto-portrait fragile à travers une histoire vraie, celle de Earl Stone, le plus vieux passeur de drogue de l'histoire.


Ici, Clint Eastwood semble vouloir aller à contre-sens de tout ce qu'il faisait auparavant. Fini le patriotisme exacerbant à la American Sniper ou 15:17 Pour Paris. Il n'est plus question d'élever les États-Unis au rang de glorieuse nation protectrice du monde contre les méchants talibans arabes (en tout cas, c'est ce que laissaient entendre ses derniers films). Les messages politiques un peu trop conservateurs, Eastwood les garde pour lui, au contraire, il semble les renier dans La Mule, et c'est peut-être pour ça que ce film rappelle tant Gran Torino.


Rappelons-nous de ce film grandiose où Clint abordait déjà l'idée d'une vieille génération prête à laisser sa place à une nouvelle, plus jeune, moins expérimentée. Souvenons-nous de Clint au départ vieux grincheux, agacé à l'idée de voir de nouvelles cultures venir poser le pied sur son merveilleux sol américain, mais qui, petit à petit, va s'ouvrir à ces peuples. Souvenons-nous de ce Clint courageux, qui décidait de protéger ce jeune coréen dans le final sublime de Gran Torino. A cet instant, il représentait cette Amérique ouverte, prête à ouvrir ses portes à de nouvelles communautés.


Et justement, La Mule déconstruit cette idée de l'Amérique glorieuse. Lors du périple d'Earl Stone, Eastwood dépeint une Amérique raciste, vieille et arrogante, à travers un flic farouche devant des latinos, ou encore Earl Stone qui dit être content d'aider ses amis les « nègres ». De ce fait, tout le côté patriotique répugnant de ses précédents films disparaît totalement dans La Mule et rien que pour ça, ce film se place parmi les meilleurs de l'ami Clint.


On retrouve également cette idée de vieille Amérique fatiguée et dépassée, mais plus encore. Earl Stone n'a aucune idée de comment utiliser un téléphone, s'amuse dans un bar pour vétérans de la guerre, conduit un pick-up, s'occupe de fleures et n'a clairement plus la force de se battre. Earl Stone n'a rien d'héroïque, il peut paraître sympathique et plein de bonnes intentions de prime abord, mais il est surtout un mauvais père qui ne cherche même pas à se faire pardonner. Mais sa fragilité provoque inévitablement la compatis et surtout l'indulgence du spectateur.


Du coup, lorsque celui-ci commence à jouer le passeur de drogue et jouir de sa nouvelle richesse, on est presque heureux pour lui. D'ailleurs, il utilise son argent gagné pour lui, mais aussi pour les autres. Ainsi, il rénove le bar de vétéran qu'il affectionne tant, participe financièrement aux fêtes de famille, et son côté sympathique lui attire l'affection des criminels pour qui il travail. Et bizarrement, on est content pour lui. Le vieil homme raté trouve enfin un moyen de se faire aimer, réussi tout ce qu'il entreprend, ne refuse pas d'aider ses ami « nègres », bref, il trouve enfin sa voie.


En parallèle, le film suit l'enquête de Colin Bates, interprété par Bradley Cooper qui cherche à coincer les barons de la pègre. S'il est moins présent que Clint à l'écran, son enquête n'en demeure pas moins passionnante à suivre et Colin Bates a droit à une écriture juste. On y trouve ainsi un parallèle entre Earl Stone et Colin Bates. Là où le premier a abandonné sa famille pour son travail, le second semble sur la même voie et oublie son anniversaire de mariage. Le lien qui unit les deux personnages est donc plus complexe qu'il n'y paraît, et surtout, il permet de mettre en relief les agissements d'Earl Stone.


Il est conscient en quelque sorte de faire le mal, et utilise son statut de vieil homme sympathique pour effectuer un travail dont personne ne le soupçonne ; mais il demeure un homme droit qui assume ses crimes provoquant, par conséquent, l'admiration du spectateur. Car même si Earl Stone est un homme qui fait les mauvais choix, qui agit maladroitement, il conserve sa dignité, est prêt à assumer les conséquences de ses agissements, et c'est là, un beau portrait de l'Amérique.


En terme d'écriture, La Mule est donc une véritable réussite tant par ses personnages que par les situations qu'il dépeint. Car bien que le récit soit à penchant tragique, le film se permet de nombreux passages humoristiques. Les façons assez insolites qu'a Earl Stone de se sortir du pétrin ou sa façon de côtoyer les criminels, il y a quelque chose de grotesque et amusant qui vient justement renforcer la sympathie (par exemple, lorsqu'il se met du stick pour lèvres quand il se fait insulter par un criminel).


Et pourtant, le film n'est pas dénudé de moments de tensions, notamment dans le dernier acte où l'étau se referme petit à petit sur Earl Stone. D'autant plus que visuellement, Clint Eastwood a les moyens de nous offrir des plans de toute beauté, notamment ces plans aériens sur les routes américaines, offrant un côté spectaculaire à cette histoire. Le montage est réussi, alternant aisément les scènes drôles aux scènes tragiques, offrant un résultat hétérogène.


Jamais le spectateur ne s'ennuie, il est toujours happé par cette histoire merveilleusement bien contée, abordant de nombreuses thématiques avec justesse rappelant le grandiose Gran Torino. Visuellement beau, porté par des acteurs de talents, La Mule est une réussite ! La Mule nous fait oublier les échecs d'Eastwood et rappelle ses plus grandes œuvres, car ce film en fait indéniablement parti.

James-Betaman

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