Seul film de Charles Laughton, Night of the Hunter est à mes yeux un chef d'œuvre non seulement du cinéma, mais de l'art en général.
Chef d'œuvre désigne quelque chose qui peut traverser toutes les époques, en prenant une signification et une force nouvelles au fil du temps.
Ce statut, le film le doit d'abord à ses qualités esthétiques et cinématographiques : une exceptionnelle photo N/B du grand Stanley Cortez, une interprétation bluffante de Lilian Gish ou Robert Mitchum, un rythme, un montage parfaits-pas une image de trop-, un scénario passionnant de James Agee et Laughton lui-même.
Mais il le doit surtout à ce qu'il dit, à la puissance d'un message toujours à décrypter.
Nous sommes dans les années '30 en Virginie Occidentale. La crise boursière de 1929 a réduit à la misère et jeté sur les routes des millions d'américains.
Rappelons que cette crise entraîna une récession de 9%, alors que la crise sanitaire actuelle en est à 16%, au moins en France...
Le révérend Harry Powell sillonne les routes de l'état pour trouver des veuves qu'il séduit, épouse et assassine pour s'emparer de leurs biens.
Un manichéen, ce Powell : "love" tatoué sur la main droite, "hate" sur la gauche.
On comprend que lui-même ne se considère pas comme un criminel, mais comme un justicier, le bras armé de la justice divine.
Il agit toujours au nom du Bien, débarrassant la planète de ces femmes qui excitent sa concupiscence.
Un misogyne qui plait beaucoup à un certain type de femmes, les plus hystériques.
Un beau parleur, le Harry : presque aussi bon qu'un Mélenchon défendant le port du voile au nom de la liberté religieuse et de la société multiculturelle.
Powell estourbit en un tour de main Willa Harper (Shelley Winters, excellente), veuve d'un malheureux, condamné à mort pour un hold-up destiné à nourrir sa famille.
Harry menace les deux enfants du couple, Pearl et John, pour obtenir le magot du père mort.
John (bouleversant Billy Chapin, 12 ans) résiste héroïquement et parvient à s'enfuir avec Pearl en barque sur la rivière.
Les scènes de poursuite le long du fleuve sont exceptionnelles de poésie, de rêverie et d'angoisse.
A bout de force les deux enfants vont dériver jusqu'à la maison d'une merveilleuse vieille dame, jouée par Lillian Gish, qui va les prendre sous son aile, comme elle l'a fait pour d'autres orphelins et les défendre au péril de sa vie.
La photographie de la dernière scène est passionnante : alors l'image, qui était jusque là fortement contrastée noir et blanc à la manière de l'expressionnisme allemand, devient grise, la neige recouvrant, come le dit la chanson, tutte le cose.
Sortie du manichéisme et de la Loi du Talion.
Le petit John a appris, en plus du courage, le sens du pardon et du partage.
Le temps, jusque là suspendu va pouvoir reprendre son cours, l'horloge se remettre à palpiter, et John devenir un homme.
La maison de Lillian Gish est un havre de paix au milieu d'un monde impitoyable.
La France, globalisation oblige, ressemble désormais beaucoup aux Etats-Unis des années '30 : face aux épreuves qui nous attendent, souhaitons qu'il reste encore des hommes et des femmes comme Rachel Cooper.