Sans être déjà forcément reconnu comme un classique du genre, La Nuit Nous Appartient s’inscrit directement dans la lignée des grands polars noirs et films de gangsters en y ajoutant la touche d’humanité propre à James Gray. Le film est sombre et souvent noir et place le spectateur dans une ambiance à couteaux tirés magnifiquement angoissante. James Gray montre que, pour peu qu’on y mette les formes, des genres cinématographiques qui peuvent paraître moribonds restent encore à explorer et sont capables d’engendrer des œuvres magistrales.


Son film traite magistralement une foule de thèmes, de la rédemption à l’amour en passant par la trahison, le sens du devoir et de la famille, il parvient sans difficulté à ne jamais tomber dans un pathos qui lui tendait les bras. La Nuit Nous Appartient confronte deux univers nocturnes opposés, deux conceptions de la vie en société. D’un côté Bobby, gérant de boîte de nuit new-yorkais baignant dans les dollars, le sexe (voir la scène d’ouverture absolument torride), l’alcool et la drogue mais qui ne s’adonne à aucun des trafics qui se tiennent dans son établissement. Il est un épicurien qui entant profiter de ses amis et de sa petite amie qu’il aime passionnément. Il est beaucoup moins intéressé par l’autre pan de sa vie représenté par sa famille de policiers, son père qui a le grade de commandant et son frère qui en suit les traces. C’est sur l’opposition des ces deux mondes, la haine réciproque qui les anime que James Gray construit.


L’ouverture du film l’illustre parfait superbement puisqu’en quelques minutes on passe de la boîte de nuit de Bobby, faites d’excès, de filles aux seins nus et de flots d’alcool au bal de la police se tenant au sous-sol d’une église dans une lumière blafarde et une ambiance si pauvre que le contraste fait sourire au point que le spectateur se range presque naturellement du côté de Bobby et de sa discothèque. Pourtant les deux univers sont hermétiques, personne dans l’univers professionnel de Bobby ne sachant qu’il vient d’une famille de représentants de l’ordre, il veille à cela à une exception près et qui sera lourde de conséquence. L’apparition contre sa volonté du trafic de drogue dans sa vie et tous les événements qui s’en suivront vont l’amener, animé par une rage et une haine féroces et faire le choix de piétiner sa vie passer pour assouvir une inextinguible soif de vengeance.


James Gray expose à nos yeux cette New-York nocturne, unique et multiple à la fois, sa mixité de nationalité, les excès et le foisonnement qui la constituent et semblent la consumer de l’intérieur. Cette ville où tout est possible sert d’écrin à un combat sans merci entre deux bandes rivales (car c’est comme ça que ça nous est montré), la loi et les hors-la-loi, dont on sent qu’il aboutira inexorablement à la destruction d’un des deux camps. D’un côté la rigidité et la morale de la police, incarnée par un excellent Robert Duvall en patriarche intransigeant avec lui-même mais surtout avec sa famille, à ces côtés Mark Walhberg a toujours se jeu d’acteur unique sobre et incisif qui parviendrait presque à tenir tête à celui du décidemment exceptionnel Joaquin Phoenix capable à la fois d’être roublard, introverti et excessivement rebelle avec toujours ce petit sourire de dérision et d’ironie qu’il maîtrise mieux que quiconque. Il se débat au milieu des contradictions avec l’énergie du désespoir.


On sent presque dès le début du film que la fin ne pourra pas être totalement heureuse et que l’histoire fera souffrir par ce conflit entre la morale et la rébellion qui sommeille en nous. Tout dans la caméra de James Gray et la musique distillée par petites touches montrent le chemin tracé malgré lui sur lequel s’engage Bobby. Certains plans faits de zoom très lents, posent une tension et imposent au spectateur un silence presque religieux. Big Apple devient à la fois le plus beau des écrins et la plus grande des menaces où un simple orage, lors d’une exceptionnelle scène de poursuite sous des trombes d’eau, devient la plus insidieuse des menaces. Des ralentis, des silences, des ambiances parvenant à faire naître comme un mysticisme dans cette scène et dans bien d’autres encore.


Magistral est le meilleur qualificatif pour cet chronique épique d’une vie à la dérive qui ne verra que la souffrance et la mort jalonner son parcours. James Gray raconte l’histoire d’une trahison, d’une tentative de rédemption inachevée, soumise à des choix qui n’en sont pas puisqu’esclaves des événements, Joaquin Phoenix tente de survivre tout en essayant de sauver le peu de goût qu’il lui reste pour l’existence qu’il mène. Ce film est empreint de fatalisme et si le titre n’avait pas déjà été donné, il aurait pu s’intituler Impitoyable, comme l’est le Destin avec Joaquin Phoenix, comme le sont ces dealers avec leurs adversaires et comme l’est la ville de New-York avec ses habitants.

Jambalaya
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le 19 avr. 2013

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