À l’heure où, dans notre pays, le projet de loi permettant à tous de se marier, quelle que soit l’orientation sexuelle, suscite maintes controverses et fait resurgir des attitudes scandaleusement homophobes qu’on pensait naïvement appartenir au passé, il n’est pas inutile qu’on nous administre une piqûre de rappel. À quelques milliers de kilomètres, au sein même de l’Europe, être gay et vouloir à ce titre participer à la marche des fiertés organisée pour la première fois à Belgrade (Serbie) représentent bien des dangers, conduisant à faire preuve d’ingéniosité et de débrouillardise. C’est sur cette trame tristement tragique que le réalisateur et scénariste serbe Srđan Dragojević articule La Parade qui présente et revendique tous les codes de la comédie : personnages truculents, quiproquos et rebondissements, mise en présence de caractères et de situations opposées et contradictoires. On émet beaucoup de réserves sur la vision rétrograde des homosexuels par le réalisateur qui fit une incursion sans percer à Hollywood pendant deux années. En effet, l’organisateur de spectacles qui doit se rabattre sur les mariages et son petit ami, un vétérinaire grassouillet, véhiculent les pires clichés imputés aux homos, version Cage aux folles : efféminés, pleutres, précieux et délicats.
À la décharge de Srđan Dragojević, on peut lui reconnaitre que son point de vue sur les hétéros est au moins aussi chargé : machos, beaufs et bas de plafond. Ce n’est donc pas la caractérisation caricaturale et sans grande finesse qui retient l’attention, mais davantage les ficelles d’un scénario élaboré et touffu qui vont entremêler et nouer les trajectoires de notre couple gay, de leurs potes avec qui ils tentent de mettre sur pied la première Gay Pride à Belgrade, avec celles d’un gangster local, affublé d’une fiancée redoutable et infatigable, et toute une bande d’anciens mercenaires serbes, musulmans, bosniaques et albanais recrutés, suite à une cascade d’événements, pour assurer la protection des manifestants attendus de pied ferme par des hooligans prêts à en découdre et à casser du pédé. De cette promiscuité subie et détonante provient le meilleur du film qui sait se montrer drôle et chaleureux, même si les blagues salaces et faciles déclenchant un rire gras jalonnent trop les dialogues croustillants. Qu’ils soient hétéros ou homos, musulmans ou chrétiens, appartenant à une nationalité ou une autre, les personnages de La Parade ont en commun leur embonpoint et leur pilosité. Le film qui ne recule pas devant les bons sentiments en programmant une tolérance et une ouverture d’esprit généralisées n’en oublie pas pour autant de s’inscrire dans la réalité. Alors oui l’ensemble tient un peu d’un bric-à-brac décousu et hétéroclite où même les animaux (chiens, moutons et ânesse) trouvent leur place et où tous les anciens guerriers et mafiosi sont affublés de surnoms impossibles. Il y a ici quelque chose de la grandiloquence grotesque et bienveillante, du mauvais goût assumé et de l’énergie décapante qui semble être inhérent à la culture des Balkans entre fatalisme et résistance, entre empoignades viriles et embrassades réconciliatrices. C’est après tout un moyen honorable de faire passer le message et de braquer les faisceaux sur une situation terrible qui bafoue les droits élémentaires.