Pierre Salvadori a parfaitement saisi l’intérêt du burlesque et exploite ce registre pour traiter avec légèreté non pas un sujet grave mais plusieurs : la pollution d’une usine rend dangereuse l’eau de la rivière et tue toute vie qui s’y trouve – qu’il s’agisse des poissons ou des enfants qui y barbottent –, son responsable tient par l’emploi les parents des petits activistes soucieux de détruire la menace ; à cela s’ajoute un regard porté sur la communication périlleuse entre les générations, matérialisée par une violence adulte à l’égard d’enfants qui, en représailles, imposent leur propre violence, une violence dont ils ne cessent d’interroger la légitimité ; tout cela évolue en kidnapping avec sévices similaires au harcèlement impuni que subit notre narrateur... Voilà un bien terrible programme, pourtant traité par une comédie éclatante pleine de soleil et de vitalité, gorgée d’humour loufoque et absurde, qui relie Sa Majesté des mouches (William Golding, 1954) et College Boy (Xavier Dolan, 2013) non sans virtuosité.

Salvadori conçoit son récit en miroir, chaque scène en appelant une autre qui en sera le reflet ; ainsi fonctionne son ouverture empruntée à la clausule et qui, lorsqu’elle intervient une seconde fois, change de sens ; ainsi fonctionne la conduite du véhicule maternel par Antoine, annonçant la fuite périlleuse hors de l’industrie. Cette construction narrative témoigne d’une rigueur d’écriture qui mime également l’agilité intellectuelle des enfants capables de faire le lien entre une idée, contenu théorique souvent issu de l’intuition ou en réaction à une parole entendue, et une action : l’intervention des forces de l’ordre dans la salle de classe pour un cours de sensibilisation aux gestes de premier secours en mer évolue en stratagème criminel pour ramener à flots le kayak pneumatique. Nous comprenons alors le décalage qui règne entre ce que souhaitent transmettre les adultes aux enfants et ce que ces derniers retiennent, suivant d’une part leurs intérêts et d’autre part leur compréhension du monde. Le cinéaste n’a pas son pareil pour diriger ses jeunes acteurs, épatants de justesse, servis par des dialogues réalistes.

Voilà donc un conte cruel et malicieux qui refuse l’impuissance apparente – parfois entretenue par les adultes – des enfants pour mieux leur restituer un pouvoir quasi magique sur les êtres et sur leur environnement. Un acte de foi placé en l’enfance, synonyme de célébration du monde alliant la poésie naïve et la cruauté. Une réussite esthétique et scénaristique majeure, à la croisée de trois sentiers : l’ambiguïté des comédies de Bruno Dumont, la sauvagerie nostalgique du récent Wendy (Benh Zeitlin, 2020) et la monstruosité adulte représentée dans les récits de Stephen King.

Fêtons_le_cinéma
9

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le 5 avr. 2023

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