Le déchaînement de haine à propos de The Little Mermaid, en amont de sa sortie – résultat de plusieurs facteurs, tout à la fois la campagne publicitaire inclusive menée par Disney, l’incompréhension devant le métissage de l’héroïne, le ras-le-bol des remakes en images de synthèse de grands classiques qui se suffisent pourtant à eux-mêmes – et en aval, en témoignent les avis et notes des différents sites spécialisés français, s’appuie sur des arguments fallacieux qui en disent long sur l’uniformisation contemporaine de l’appréciation critique d’une œuvre. Dénigrer le film en raison de sa laideur visuelle, du statisme de sa mise en scène ne saurait faire sens compte tenu du talent manifesté ici par Rob Marshall, honnête artisan de comédies musicales (Chicago en 2002, Nine en 2009, Into the Woods en 2014 et Mary Poppins Returns en 2018) et de productions hollywoodiennes soignées (Memoirs of a Geisha, 2005) qui revient ici aux sirènes après le quatrième opus décevant des aventures de Jack Sparrow – mais bien meilleur que le cinquième ! Les plans d’exploration sous-marine attestent une fluidité appréciable, reliés entre eux par des transitions inventives, et ne sont pas charcutés par un montage qui, au contraire, prend le temps de poser situations et personnages. L’élégance de la réalisation se subordonne à un goût pour le faste : comme dans le dessin animé, coquilles, crustacés et cétacés célèbrent la vie « sous l’océan », et c’est alors un son et lumière qui se joue sous nos yeux comme raccordés à une émotion primaire, celle du divertissement conçu comme art du spectacle.
En outre, la dimension politiquement correcte exigée par le souris milliardaire, qui dessert tant de productions récentes, s’intègre bien à l’univers et ne s’affiche jamais au premier plan : les sœurs d’Ariel représentent chacune un océan de la planète, aussi leur réunion exige-t-elle des traits physiques différents, l’adoption du bellâtre par une reine noire ne constitue nullement un enjeu narratif du récit, etc. Nous sommes loin des défilades multicolores ostentatoires (et vaines) de Peter Pan & Wendy (David Lowery, 2023), tel un défilé pour une grande marque de vêtements, loin de la famille à thèse composée pour Strange World (Don Hall, 2022), grande vitrine de la bien-pensance actuelle – et qui ne sert qu’à aguicher, non à interroger, encore moins à repenser les codes du blockbuster.
La principale limite du long métrage réside cependant dans la fadeur de son duo amoureux : les mono-expressifs Halle Bailey et Jonah Hauer-King ne convainquent jamais, la première étant choisie pour sa voix, le second pour sa plastique (?). Comment dès lors ressentir une émotion quelconque, sinon par l’esthétique évoquée plus tôt ? Ces piètres comédiens échouent à se faire vecteurs des sentiments qu’ils sont censés incarner, et qu’ils se contentent de figurer : perdus dans cet ouragan d’effets visuels, ils paraissent plus vides que les palourdes dansantes. Pourtant, Javier Bardem et Melissa McCarthy assurent le show, l’un en père autoritaire qui apprend, par crises successives, à accepter la liberté de sa fille, l’autre en sorcière réjouissante dont la drôlerie certaine cache une authentique noirceur – la séquence d’affrontement reste en mémoire. Un divertissement moyen, en somme, qui néglige l’humain au profit de ses enjeux techniques, et qui aurait gagné à aborder son héroïne par le prisme de l’exploration de l’inconnu au sens large du terme (géographique, culturel et sexuel).