Vu en avant-première en présence d'Isabelle Huppert et de Marc Fitoussi le 12 mai 2014 au Majestic de Lille.
Assez souvent, je vais au cinéma pour autre chose que la sempiternelle ritournelle de voir un bon film. En fait, ce qui m'intéresse, c'est ce dont tout le monde se fout, à savoir et parfois les représentations sociologiques. C'est d'ailleurs le sens de ma question pendant le film ; tandis que tous s'enivrait de la fable romanesque d'un couple d'agriculteurs d'Yvetôt, je m'attachais surtout à l'habitus du milieu agricole et rural, peu présent au cinéma. C'est donc un miroir social dans une certaine mesure, une mesure que Marc Fitoussi me dit avoir nuancer du seul fait de ne pas avoir la prétention de faire un travail de sociologue.
L'intérêt de ce film était aussi que je voulais à tout prix rattraper la séance "sociologiquement" désastreuse de Pas Son Genre (vu une semaine plus tôt) de Lucas Belvaux, autre réalisateur sur qui je compte dans son regard sur la société.
S'il n'y a pas à s'étonner, c'est la présence réitérée d'Isabelle Huppert auprès du réalisateur de Copacabana et de La Vie d'Artiste. Pour moi, ils ont tout à avoir ensemble même si Huppert ne semble pas s'en préoccuper. Comment ne pas voir que de La Dentellière à Amour, avec sa préciosité froide, Madame Huppert est une habituée des rôles où la condition sociale est entièrement partie prenante du personnage à composer. On peut alors s'étonner de la retrouver ici en agricultrice, à cheval dans les codes sociaux : ainsi quand le terrien Darroussin découvre Paris par l'entremise de son épouse, le personnage d'Huppert, Brigitte Lecanu, est déjà plus à l'aise dans les ruptures. Singulière, lectrice assidue et cultivée, plus citadine, lassée des propos généralistes de son mari et de l'ennui petit-bourgeois du milieu familial, Brigitte décide de rejoindre une fête de jeunes gens pour tenter l'aventure de voir autre chose dans sa vie que de vert pâturage.
C'est en réalité un personnage idéalisé par la somme des romans. Et c'est toque vissée sur la tête qu'elle part à Paris, sous prétexte d'une profonde répulsion dermatologique, cette Brigitte va voir ailleurs si elle y est. Ce voyage contrasté s'effectue au détriment de son mari qui, poussée par l'écueil de son couple et de l'angoisse, choisit de s'effacer, de ne pas intervenir... De visiter un musée des souvenirs... Un peu comme il a l'habitude de faire pour régler ses propres affaires professionnelles et relationnelles.
Ce couple a un enfant qui prépare une sorte de diplôme... d'acrobate. Etonnante intrusion de la magie qui, chez Fitoussi, intervient par touches, comme des impressions qui révèlent la profondeur chez ces personnages pudiques et pragmatiques. C'est encore un tableau qui va servir de révélateur sentimental chez ce couple où l'abreuvoir sert de trait d'union.
La ritournelle pose alors un tableau d'un milieu social au travers d'un petit théâtre vert, des personnages vaudevillesques qui vont et qui viennent, avec un valet simplet mais dont la parole est d'or. Il pose en en outre des questions sur l'amour en couple, dans ce milieu socioprofessionnel réputé pour sa précarité : la ritournelle n'est-ce pas alors ce tour de manivelle qui revient à la même place, avec quelques notes en plus ? N'est-elle pas un détour pour mieux se choisir, sans pour autant changer ? Fitoussi réussit alors un film amusant, tendre, espiègle, fabuleux et étonnant ; une alchimie qui se maintient tout au long, sans grossièreté, sans traits forcés, ce que j'imagine assez compliqué en soi.
NB :
Le film aurait du s'appeler "Folie Bergère".
Jean-Pierre Darroussin n'était pas pressenti pour le rôle, Fitoussi avait proposé à Gérard Jugnot en premier lieu.
Ce film se passe pour moitié dans le Pays de Caux : étant moi-même rouennais de naissance, je conseille ce film à tous les normands - parce que revoir ma terre natale me fait plaisir (chauvinisme ?).
Marc Fitoussi et Isabelle Huppert ont patiemment répondu aux remarques du public du cinéma d'art et d'essai - ce qui valait le coup de préférer cette séance à l'avp de l'ugc. Pose photo et dédicaces, auxquelles j'ai préféré de chaleureuses salutations. Beaucoup de chance ce soir-là. Inoubliable.