Pourquoi les films noirs sont-ils si décevants ?

Il y a environ 4 ans, je découvrais le chef d'oeuvre "Le grand chantage" de Mckendrick, qui me réconciliait très temporairement avec le genre du film noir qui réunit en théorie tous les ingrédients pour me séduire.


Malheureusement, un constat implacable n'a pas évolué depuis toutes ces années : Ces films me gonflent. Quand je vois un film noir classique américain, et une quelconque adaptation d'un roman de Raymond Chandler, le plus souvent je m'ennuie comme un rat mort.


La dernière expérience douloureuse doit remonter au remake téléfilmique du Grand Sommeil avec Robert Mitchum dans le rôle de Marlowe. Des rebondissements artificiels à n'en plus finir, des twists bidons à gogo, des incohérences à tous les étages, des types qui bavardent et expliquent un scénar retors dans des lieux clos de studio sans âme ce qui rend l'expérience globalement frustrante. Bon on est perdu au fin fond des 70's et l'âge d'or du cinéma hollywoodien classique est révolu depuis belle lurette, ce film a donc un cachet particulièrement désuet.


Pour se laver les yeux de cette infamie, on se fait une petite cure de "L'inconnu du nord-express" de Papy Hitchcock et on repart comme en 40. On peut toujours trouver de sacrées pépites même s'il n'est pas très simple de tracer des frontières très claires entre des genres un peu fourre-tout pour le profane que je suis : film noir, thriller, policier, il est aisé de s'y mélanger les pinceaux.



Bon venons-en au sujet : "Scarlet street" ou "La Rue rouge" de Fritz Lang.



Comme je réfléchis à faire une chronique vidéo dans le prochain épisode de ma série documentaire sur "La Chienne" de Jean Renoir, qui est l'adaptation d'un roman de Georges de la Fouchardière, et que ce film m'avait bien plu (alors que les autres films de Renoir que j'ai vus jusqu'à présent ne m'ont pas franchement marqué, bien qu'ils soient totalement cultes, en particulier La Grande Illusion, et La Règle du jeu), j'étais curieux de voir ce remake américain, très côté et apprécié des cinéphiles du monde entier, pour voir si une comparaison serait pertinente.


Et là, c'est la douche froide terrible, comme le soulignerait le plus grand poète de notre temps, je parle bien évidemment de Mohamed Henni : Nul, la rue rouge, NUL, NUL NUL, FRITZ LANG ! Ta grand-mère la casquette qui fait mal à la tête, wollah.


Ce qui est intéressant en tout cas, c'est que si l'histoire de base reste dans ses grandes lignes parfaitement identique entre les deux films, des choix de mise en scène, d'interprétation et d'écriture sont radicalement différents, et vont complètement changer la donne.



L'anti-héros



Dans La Chienne, Michel Simon interprète un pauvre type. Et dès les premières images du film, on a compris. Lors d'une soirée entre collègues de travail, le terrible contraste entre Simon isolé en bout de table, la tête basse, et ses partenaires hilares qui se foutent ouvertement de sa tronche, saute à la figure. Et c'est terrible. Et ça fait franchement mal au coeur.


Aucun répit pour son personnage, de retour, à la maison, il doit supporter les hurlements de sa bonne femme qui le traite comme un minable, un moins que rien, dans des séquences horriblement crispantes.


Et puis il tombe sur cette fille des rues complètement paumée, à la merci d'un maquereau sans scrupule. Et on comprend qu'il n'a aucune chance, et qu'il est condamné à être le gogo permanent, fragile, et facilement manipulable. Pourtant il y croit, il s'enflamme, c'est peut-être sa dernière chance d'aimer et d'être aimé.


Alors quand le récit prend un tournant, noir, pas besoin d'en faire des caisses. On sait quel drame vient de se nouer, le meurtre de la fille des rues peut avoir lieu hors-champ, et on n'a pas besoin d'explication de texte pour comprendre qui a enfoncé le couteau.


Dans le Film de Fritz Lang, aucun rapport.
Ils ont gommé toutes les aspérités, Edward G Robinson interprète le rôle d'un type lambda. Il n'est la risée de personne, ses camarades le respectent, alors oui, sur le plan conjugal c'est pas la folie, mais bon au-delà de quelques engueulades banales pour un vieux couple, pas de quoi s'alarmer pour un sous.


Bref, le personnage a été détruit. Et l'interprétation complètement molle de Robinson finit d'enfoncer le clou (bizarrement je trouve qu'il a un air botoxé avec des expressions faciales complètement figées).


Alors quand la scène de crime survient, elle est tellement incohérente et hors-sujet, qu'une odieuse faute de goût va être commise : exit le hors-champ, on va filmer plein cadre Robinson en train d'assassiner la pauvre fille par une série de coups de couteau frénétiques. Le grotesque et l'incompréhension à leurs apogées.


Ils y étaient obligés... Parce que sans ce plan, le spectateur aurait pu ne pas comprendre ce qui pourtant relevait de l'évidence dans "La Chienne" de Renoir : Le personnage de Robinson a tué la fille. En raison de la mollesse du personnage et du récit, l'absence globale d'aspérité et de véritable noirceur, il est impossible de comprendre la motivation de ce crime sorti de nulle part.



Artifices ringards, et morale



En voyant "La Chienne", j'ai été choqué par la noirceur du film, encore aujourd'hui. Je l'ai même trouvé excessif dans ce domaine, au point où on friserait presque la caricature. Mais malgré tout, on y voit un univers vivant, crédible, cynique.


Un acteur comme Georges Flamant, qui objectivement ne joue pas hyper bien dans le rôle du maquereau impitoyable, en étant très théâtral, parvient pourtant à faire croire à son rôle. Il arrive à créer le malaise avec sa dégaine bizarre (une sorte de sosie de Paul Dano en plus dur et émacié), et on sent qu'il joue sa vie dans le rôle, et les ultimes séquences au tribunal en deviennent particulièrement bouleversantes. A contrario dans "La Rue rouge", ce personnage est encore plus quidamesque que tout le reste, et surtout sa relation avec la fille est complètement traitée par-dessus la jambe, on ne trouve plus du tout le rapport de domination fascinant dans le film de Renoir.


La fin aussi est géniale, avec un Simon clochardisant complètement hilare qui arpente les rues, avec sa voix qui finit par se confondre dans la cacophonie ambiante (usage inédit du son en pleine émergence du cinéma parlant), on est en plein cynisme, aucune lourdeur moralisatrice. Chacun déduit ce qu'il souhaite de cette histoire sordide et désespérante sur l'âme humaine.


"La Rue rouge", c'est du cartoon (bas de gamme). Déjà, film noir classique oblige, on est dans du pur film de studio, c'est théâtral, verbeux, et complètement artificiel de bout en bout.
Le pompon tout de même, c'est qu'après la scène de crime ridicule, le film part en roue libre. Soudainement, sans qu'on comprenne bien pourquoi, on a un tournant expressionniste (très Fritz Langien), mais là encore hors-sujet avec tout ce qui précède.


Le personnage de Robinson devient torturé, il est poursuivi par les voix de ses deux victimes (la pauvre fille, et son compagnon le maquereau sans scrupule) qui ne vont cesser de le hanter en se répétant leurs propres noms "Johnny ... Johnny... Johnny... Kitty... Kitty....", à ce moment j'ai eu l'impression d'être dans un très mauvais épisode de la série des Freddy les griffes de la nuit.



Autrement dit, morale de l'histoire, en gras, surlignée, police 75 :



Les enfants, le crime ne paie pas, et ce monsieur qui a commis des horreurs devra être puni par la folie !


Y a pas de mot pour décrire à quel point j'ai trouvé ça con et mauvais.


Au bout du compte, plus le temps passe, et plus je me dis que le plus grand film noir américain réalisé restera à tout jamais "The Big Lebowski".

KingRabbit
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le 24 févr. 2019

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