Impassible Témoin

Invisible pendant près de 50 ans à l'exception d'une sortie en VHS chez l'éditeur Proserpine dans les années 80; La saignée, troisième film de Claude Mulot doit une nouvelle fois sa résurrection des limbes de l''oubli à l'éditeur Le Chat qui Fume dont je ne cesserai jamais de vanter l'excellent travail. Avant de s'orienter vers l'érotisme, la pornographie et la comédie franchouillarde en tant que scénariste pour Max Pécas, Claude Mulot a réalisé quelques films de genre comme La Rose Ecorchée et donc La Saignée, un thriller romantico-crépusculaire tourné entre New-York et la baie de Somme.

La Saignée raconte l'histoire de Thomas un jeune français qui vit à New York et qui se retrouve témoin d'un double meurtre par un parrain de la mafia locale. Afin de se protéger l'homme décide de fuir les USA afin de retrouver sa petite ville natale et un semblant de tranquillité. Une retraite illusoire car ce retour attise de vieilles rancœurs chez certains habitants à propos d'une ancienne histoire d'amour et pour ne rien arranger un flic et un tueur débarquent des Etats Unis pour s'occuper de Thomas.

La Saignée est une belle découverte et un très bon film qui laisse entrevoir que tout un pan du cinéma hexagonal mériterait sans doute d'être réhabilité avant de totalement disparaître. Le film commence donc dans le New York du début des seventies que Claude Mulot filme de manière quasiment documentaire et pour cause puisque une bonne partie des images seront filmées à l'arrache et sans autorisations y compris l'importante opération de police qui concernait un braquage et que le réalisateur intègre astucieusement à cette histoire de double homicide. Cette première partie permet de poser les enjeux et d'introduire les trois personnages principaux avec le témoin en fuite, le flic aux méthodes musclées et le tueur à la solde de la pègre, tout ce petit monde se retrouvant donc autour d'une histoire d'adultère conduisant à un double meurtre. Il ne restait plus ensuite qu'à embarquer tout ce petit monde dans un bled paumé de la Somme pour une ambiance parfois digne d'un western.

Cette seconde partie fonctionne sur plusieurs niveaux puisque viennent se greffer à ce trio déjà présent de nouvelles intrigues et de nouveaux personnages dont l'ex petite amie de Thomas remariée depuis avec un riche industrielle qui tient la ville sous sa coupe. L'occasion pour Claude Mulot d'instaurer une sorte de parallèle entre la jalousie homicide du parrain newyorkais et celle tout aussi maladive et destructrice de cet homme d'affaire. La Saignée instaure alors un climat trouble parfois proche des univers de Claude Chabrol dans la description des petites mesquineries crasses d'une certaine bourgeoisie provinciale. Le film navigue alors entre le thriller et le drame romantique alternant des séquences de grande tension avec d'autres d'un romanesque parfois un petit peu kitsch à grand coup de ralentis de cheval au galop et d'étreintes tout nus sur la plage. Certes c'est parfois un peu maladroit, mais globalement le film de Claude Mulot s'offre aussi de formidables moments de cinéma comme la touchante fin de la petite amie Newyorkaise de Thomas interprétée par Patti Lady D'Arbenville et cette courte lmais intense chasse à l'homme, expression de toute la rancœur et de la violence imbécile de quelques habitants envers Thomas. Le film propose également des axes narratifs originaux et vraiment intéressants comme la relation pourtant conflictuelle mais très respectueuse et presque amicale entre ce flic et ce tueur qui se retrouvent à séjourner dans le même hôtel. Claude Mulot semble un peu moins à l'aise lorsqu'il fait glisser son film vers la fable politique en mélangeant des références assez disparates à la ségrégation, la guerre et la corruption politique. Quelques petits défauts qui n'entame en rien la qualité du film qui s'achève sur une délicieuse note de sombre ironie funeste.

La Saignée est vraiment un bon petit film qui sans Le Chat qui Fume aurait peut être fini par totalement disparaître de la circulation. Il aurait été bien dommage de ne se souvenir de Claude Mulot que comme étant le scénariste de Mieux vaut être riche et bien portant que fauché et mal foutu ou Embraye bidasse... ça fume