Une épopée humaine et artistique poignante

(8.5/10)

Réalisé par Florence Miailhe, La Traversée est un film d'animation singulier qui aborde des thématiques intemporelles telles que l'exil, la résilience et l'espoir à travers une narration poétique et un style visuel unique. Miailhe, qui est aussi une artiste-peintre, propose ici une œuvre où l’animation s’apparente à une véritable peinture en mouvement, avec une utilisation impressionniste des couleurs et des textures. L’histoire de deux jeunes enfants, Kyona et Adriel, forcés de fuir leur pays ravagé par la guerre, prend une dimension universelle, reflétant les drames migratoires actuels tout en conservant une touche mythique et intemporelle.


La Traversée se distingue par la beauté de son animation et la profondeur de ses thématiques. Le film parvient à capturer la brutalité de l'exil, tout en laissant place à une poésie qui rend cette histoire à la fois émouvante et universelle. Florence Miailhe réalise ici une œuvre audacieuse, tant sur le plan narratif qu’artistique, où chaque image, chaque mouvement semble imprégné de sens et de symbolisme.


Le film suit le périple de Kyona et Adriel, deux frères et sœurs contraints de quitter leur village lorsque leur pays est plongé dans le chaos et la guerre. Très vite, ils se retrouvent séparés de leurs parents et doivent traverser un territoire hostile, souvent sans repères, tout en affrontant des dangers constants tels que les soldats, les passeurs et les exploitants de la misère humaine. Leur voyage, qui s’étend sur plusieurs années, devient une quête initiatique, marquée par des rencontres, des pertes et des épreuves qui les transformeront à jamais.


L’histoire de La Traversée est à la fois très personnelle et profondément universelle. En racontant le voyage de Kyona et Adriel, Miailhe aborde des thématiques contemporaines comme les migrations forcées, les frontières, et la violence exercée sur les populations en fuite, mais elle le fait à travers un prisme narratif qui donne à l’histoire une dimension presque mythique. Le film, bien qu’ancré dans des réalités sociales et politiques actuelles, n’évoque jamais explicitement de lieu ou d'époque précise, ce qui permet à l’histoire de prendre une portée universelle, applicable à de nombreuses crises migratoires à travers le monde.


L'exil de Kyona et Adriel n’est pas simplement une fuite physique, mais aussi une métaphore de la perte de l'innocence et du passage à l’âge adulte. Ce chemin semé d’embûches devient une véritable épreuve initiatique, où les enfants sont confrontés à la brutalité du monde des adultes, mais aussi à la découverte de leur propre force intérieure. Cette double dimension, à la fois réaliste et symbolique, donne au film une grande profondeur émotionnelle et narrative.


L’une des premières choses qui frappe dans La Traversée est la beauté saisissante de son animation. Florence Miailhe, qui a choisi une technique d’animation rare et exigeante, peint directement sur du verre, ce qui confère à chaque image une texture et une fluidité uniques. Le film est littéralement une œuvre d’art en mouvement, où chaque plan semble avoir été minutieusement pensé pour évoquer des émotions fortes à travers les couleurs et les formes. Les traits sont parfois imprécis, les contours flous, mais cela renforce l’aspect onirique et symbolique du film, qui joue constamment avec la frontière entre le réel et le fantastique.


Cette approche picturale permet également de rendre de manière subtile les états émotionnels des personnages et de traduire visuellement leur évolution intérieure. Les couleurs vives et contrastées, les jeux de lumière et d’ombre, et la texture mouvante de l’animation créent une atmosphère immersive, où le spectateur se sent transporté dans un monde à la fois tangible et éthéré. Cette approche visuelle permet à Florence Miailhe de transcender le réalisme brut de l’histoire pour en faire une expérience sensorielle et émotionnelle.


Les paysages, souvent stylisés et abstraits, deviennent ainsi des reflets de l'état d'esprit de Kyona et Adriel. Lorsque tout semble perdu, les couleurs se font plus sombres, plus menaçantes. À l'inverse, les moments d’espoir et de répit sont illuminés de teintes chaudes et vibrantes, comme des éclats de lumière dans l’obscurité. Cette utilisation inventive de la couleur et de la texture donne au film une qualité presque méditative, où chaque scène devient une œuvre à contempler.


Au centre de La Traversée, il y a Kyona et Adriel, deux enfants qui se voient forcés de devenir des adultes avant l’heure. Leur relation fraternelle est au cœur de l’histoire, et c’est elle qui porte le film émotionnellement. Kyona, l’aînée, se présente comme une figure maternelle protectrice pour son jeune frère, mais elle est aussi une enfant qui doit faire face à ses propres peurs et à sa propre vulnérabilité. Leur lien est leur seule ancre dans un monde qui devient de plus en plus dangereux et hostile.


Kyona, en particulier, est un personnage fascinant. Artiste en herbe, elle utilise le dessin comme un moyen d’échapper à la réalité et de figer des moments fugaces de bonheur ou de douleur. À travers ses dessins, elle exprime ce qu’elle ne peut pas toujours dire avec des mots. Cette dimension artistique du personnage reflète également la propre démarche de Florence Miailhe, pour qui le dessin et l’animation deviennent des moyens d’explorer des thématiques complexes et de rendre visible l’invisible.


Les personnages secondaires, bien que moins développés, apportent une variété de points de vue sur l'exil et la survie. Chaque rencontre est à la fois une opportunité et un risque pour les deux enfants, et ces rencontres sont autant de moments où le film explore la question de l’humanité face à l’adversité. Certaines figures, comme celle du passeur ou des réfugiés rencontrés en route, incarnent des archétypes des récits migratoires, mais Florence Miailhe parvient à les doter d’une humanité et d’une profondeur qui les rendent plus que de simples symboles.


La Traversée est avant tout un film sur le voyage, non seulement au sens géographique, mais aussi au sens spirituel. Le film s’inscrit dans la grande tradition des récits initiatiques, où les protagonistes, confrontés à des épreuves extérieures, se transforment intérieurement. Le voyage de Kyona et Adriel est une métaphore de la transition de l’enfance à l’âge adulte, un passage douloureux où l’innocence est perdue, mais où de nouvelles forces se révèlent.


La narration de La Traversée oscille constamment entre réalisme et onirisme. Certains moments, comme les scènes de violence ou de séparation, sont filmés avec une grande sobriété, presque brutalité. Mais ces moments sont contrebalancés par des scènes plus symboliques, où le rêve et l’imagination prennent le dessus. Ce mélange de tons donne au film une texture unique, où la dureté de la réalité est adoucie par la beauté de l’imaginaire.


Le film aborde également la question de la mémoire, à la fois individuelle et collective. Kyona, en tant qu’artiste, cherche à capturer et à préserver les moments de son voyage à travers ses dessins. En cela, elle devient non seulement une survivante, mais aussi une témoin, une gardienne de la mémoire de son peuple et de son histoire. Ce rôle de passeur de mémoire est central dans La Traversée, qui, bien qu’il raconte une histoire fictive, fait écho à de nombreuses expériences réelles de déracinement et d’exil.


Si La Traversée est avant tout une histoire personnelle, elle porte en elle une réflexion plus large sur l'exil et la condition humaine. Le film montre avec une grande justesse les souffrances et les injustices auxquelles sont confrontés ceux qui doivent fuir leur pays, mais il le fait sans jamais tomber dans le misérabilisme. L'exil est ici représenté comme une expérience à la fois tragique et universelle, mais aussi comme une opportunité de résistance et de résilience.


Le film pose également des questions sur l'accueil des réfugiés et sur la manière dont les sociétés traitent ceux qui cherchent à échapper à la guerre et à la pauvreté. Bien que La Traversée ne propose pas de réponses simplistes, il invite le spectateur à réfléchir sur la manière dont nous percevons et traitons ceux qui sont contraints de fuir. Les frontières, qu'elles soient géographiques ou psychologiques, deviennent dans le film des obstacles à surmonter, mais aussi des symboles des divisions entre les individus et les nations.


La Traversée de Florence Miailhe est une œuvre cinématographique aussi belle qu'émouvante, qui réussit à allier une réflexion poignante sur l'exil à une esthétique picturale d'une grande beauté. Le film se distingue par son style visuel unique, où chaque image semble peinte à la main, et par la profondeur émotionnelle de son récit, qui touche à des thèmes universels comme la résilience, la mémoire et la quête d'identité.


La Traversée est un film qui invite à la contemplation, où la dureté du monde est contrebalancée par la force de l'imagination et de l'art. En suivant le périple de Kyona et Adriel, le spectateur est emporté dans une histoire à la fois intime et universelle, qui fait écho aux drames migratoires contemporains tout en s’inscrivant dans une dimension mythique et intemporelle.

CinephageAiguise
8

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il y a 15 heures

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