L'oeuvre de Kaurismaki est traversée par de nombreuses réminiscences, des variations autour de thèmes communs. "La vie de bohème" en est l'illustration puisqu'elle constitue une sorte de point de départ de sa réalisation la plus récente "Le Havre". Les deux oeuvres ont d'ailleurs en commun le lieu de tournage en France, le personnage de Marcel Marx : écrivain qui se reconvertira par la suite en cireur de chaussure, de nombreux plans de fleurs qui constituent pour le cinéaste un des meilleurs moyens de signifier l'amour, la thématique de l'immigration et enfin la maladie.
"La vie de bohème" est l'adaptation moderne d'un roman du XIXème siècle qui met en scène un écrivain, un peintre et un musicien qui se rencontrent par hasard et décident de mener une vie commune. Ils partagent alors leur misère et leurs maigres espoirs de succès. La beauté du film tient à son caractère à la fois poétique et sobre: si les dialogues sont souvent brillants, ils sont également courts ce qui confère à chaque phrase la qualité du surgissement. En témoigne le commentaire laconique de Marcel Marx au début du film "Ces verres sont plus petits que des visions d'ivrogne".
A la sobriété de Kaurismaki s'ajoute également la fantaisie que l'on retrouve dans des détails (un plat servi au restaurant est une truite à deux têtes, le chien du peintre albanais Rodolfo s'appelle Baudelaire) mais également dans les dialogues comme celui entamé par Rodolfo (qui cherche à vendre la bague qu'il possède le plus cher possible pour s'offrir des tubes de peinture) avec la gérante du mont piété:
"J'ai pitié des enfants, on me les a laissés et mes moyens ne suffisent pas pour les nourrir. Ils pleurent de faim, la nuit.
- Ils ont quel âge les petits?
- 14...9...7...6...3...2...1....et le plus petit n'a que 6 mois.
- Il y en a beaucoup.
- Nous étions jeunes et amoureux, c'était le printemps."
La maîtrise par Aki Kaurismaki du décalage poétique et de l'humour qui en découle est le résultat d'un lyrisme contenu, d'un verbe élégant mais qui ne s'étend jamais ou bien encore de scènes dont la brièveté peut parfois surprendre. Un cinéma finalement peu bavard mais qui s'exprime drôlement bien comme l'illustre cette scène de négociation entre Jean-Pierre Léaud (qui joue un collectionneur) et Rodolfo:
"- Ce travail me plaît beaucoup, je paie 1000 francs pour ça.
- Vous plaisantez?
- 1200
- 2000
- 1400
- 1700
- 1500 plus deux places pour l'opéra de ce soir.
- L'Opéra est une forme d'art mourant mais d'accord"