La magie de Noël, bien sûr. Try me.
Je connais ce film depuis si longtemps, je connais son dénouement, certes, la dernière fois encore, il m’avait bouleversé, mais il en est tombé de la neige, depuis… J’ai vieilli, et Noël, c’est par les coulisses que je l’aborde, en rejouant cette comédie pour la nouvelle génération qui a le droit d’y croire encore quelques années avant d’ouvrir les yeux.
Alors La vie est belle, je préfèrerais ne pas le revoir, je le loge dans ces souvenirs immaculés d’une émotion que l’injure du temps et ses tristes désinences ne viendront pas altérer.
Mais tout de même, dans ce long revisionnage de tous les grands classiques auquel je m’attèle depuis un an et demi, pour en faire une critique, et pour James, et pour Capra, et… pour Noël et Mrs Chan, tiens, on pourrait retenter.
Cachons nous d’abord derrière l’apparente neutralité d’un discours critique. Ce film est celui d’une communauté, d’une famille et de ses satellites dans ces petites villes que le cinéma américain sait faire vivre comme nul autre. L’humanité se décline à travers une galerie de personnages secondaires caractérisés à la perfection, et que le protagoniste fustige gentiment. Ce recul discrètement cynique sur l’étouffement d’un collectivité où l’on pousse les garçons vers leur future épouse, où l’on vit sous l’égide d’un capitaliste acariâtre et l’on renonce à ses rêves a de quoi rassurer les sceptiques : la vie n’est pas si belle, après tout, l’acide transparait sous le sucre glace.
Avant de s’en rendre compte, on a déjà baissé la garde, plongeant avec les personnages dans l’euphorie collective d’un charleston aquatique, bricolant avec eux une vie chiche et dont le charme indéfectible est la sincérité, qui fait tourner les cœurs, les broches et les vinyles en un même mouvement.
La vie passe, nous la vivons. Est-elle belle ? Pas forcément. Elle est vraie, surtout, et l’on grandit avec James et Dona, enthousiastes de les voir porter à bout de bras l’univers d’un film qui se consolide autour de leur énergie, tandis que le pouvoir de l’argent étire ses tentacules, critique bienvenue dans un film pourtant si emblématique de l’idéologie américaine.
Car si le capitalisme est ici fustigé, c’est qu’on lui oppose l’économie des sphères les plus intimes et modestes : celle de la famille, et celle de la communauté. George se sacrifie pour que soit possible la success story de son pays : le frère héros de guerre, l’ami riche industriel, les concitoyens propriétaires.
La réussite tient dans cet angle de vue. En restant au sein de cette cellule familiale, Capra capture comme personne l’humanité des individus qui, ensemble, construisent la nation. Cette modestie qui nourrit notamment la dimension comique du drame est l’ingrédient ultime pour ravager les plus sceptiques, notamment dans le traitement du thème de l’ange gardien, son amateurisme et la simplicité avec laquelle il devise et accomplit ses miracles.
Débarrassé de tout didactisme, c’est donc par l’émotion pure que la morale s’impose. Le désarroi de l’homme acculé, qui répète « I worth more dead than alive », le visage de Stewart enfouissant son visage dans le cou de sa fille pour cacher ses larmes valent tous les discours sur la violence économique.
Vient donc le temps de la destruction, qui là encore, se fait à l’échelle domestique : les pétales de la fleur, les maquettes, la maison, l’enseignante au téléphone, avant le souhait de mort du martyr qui a oublié qu’il était “the richest man in town”.
L’uchronie proposée à George par Clarence est non seulement un coup de génie scénaristique, mais une relecture brillante de la destinée de chacun et du réseau sentimental et bienfaisant que dessine la vie sociale. Chaque détail a compté, chaque action a eu ses conséquences…difficile d’illustrer avec plus de pertinence l’éloge du rôle de chaque individu.
Les retrouvailles de George avec sa famille, dans le final, et la convergence de toute sa communauté vers la quête et le chant final se passent d’analyse. C’est tout simplement l’enchainement de séquences le plus bouleversant de l’histoire du cinéma.
Mais comment a-t-il fait ? se demande-t-on tout se frottant discrètement les yeux sur le générique de fin… Quel est son secret ?
Une scène, subreptice, métaphorise toute le génie de Capra. Lorsque Clarence exauce le vœu de George souhaitant n’être jamais né, Dieu acte le changement par un coup de vent qui fait s’ouvrir la porte. Clarence sort et déclare avec malice : “You don't need to make all THAT fuss about it !”
Voilà : cette solennité du surnaturel est déjà de trop, et nécessite une pirouette d’humour pour qu’on l’accepte. Le regard de Capra se résume à ce souffle imperceptible qui n’ouvrira pas ostensiblement les portes pour s’imposer, mais aura sur nos cœurs l’effet d’un ouragan.