Avec Sympathy For Lady Vengeance (SFLV), on peut reconnaitre à Park le mérite de clore sa trilogie en conservant la cohérence et la pertinence caractéristiques de la série, tout en lui donnant une nouvelle représentation; ce n'est pas à la portée de tout le monde.
C'est une bonne chose, mais cela ne suffit pourtant pas à mon humble avis à en faire le meilleur des trois films. Je vais y revenir.
Ce qui est intéressant dans ce troisième volet c'est la façon dont la vengeance est incarnée. Dans SFMV elle était viscérale et prenait les traits d' hommes déchirés par la perte de la chair de leur chair, et qui agissaient sous le coup de la douleur immédiate. Dans Old Boy elle se parait de fureur et de sadisme, et éclatait avec violence, de façon bestiale, primaire ; et même sous le couvert de la sophistication apparente des actes de l'un des deux esprits vengeur du film se glissait de la colère typiquement masculine, bouillonnante.
Ici la vengeance revêt les traits d'un Janus au féminin—magistralement interprété par Yeong-ae Lee— divinité du changement et de la transition, un ange vengeur auquel les protagonistes font à mainte reprise la remarque suivante : « Tu as beaucoup changé ».
En effet, le visage de cette femme en quête de vengeance nous est dépeint de deux différentes manières : celui d'un « ange lumineux et au grand cœur », et celui d'une « sorcière » (je cite le film). Celui d'une jeune femme à l'apparence douce, et celui d'une Dame à la beauté glaciale et maquillée « pour ne plus avoir l'air aimable ».
Tout ceci nous amène à nous questionner sur sa véritable âme, ses véritables responsabilités et fautes dans la tournure tragique qu'a pris son destin, et surtout sur sa Vérité, sa Juste cause. Est il vraiment nécessaire de saluer au passage la grande qualité d'écriture et d'interprétation du personnage ?
Froide, longuement murie et préparée, sinueuse voire machiavélique, la vengeance telle que l'incarne le personnage de Lee Geum-ja est une vengeance qui se fait justice en corrompant, en instrumentalisant, et au diable les dégâts collatéraux !
C'est justement ce point là qui nous amène à ressentir un sentiment d'une forte ambigüité envers elle, un pot pourri d'émotions mêlant compassion (sympathy), attraction physique et morale, et en même temps antipathie, dégout, pitié et condamnation.
Un sentiment auquel seule une femme—insaisissable par nature—pouvait prêter des contours complexes et empreints de dualité, aux limites indéfinies, changeant en fonction du regard que l'on pose sur lui. La vengeance est une maîtresse (dans tous les sens du terme) belle et fatale, animée par l'amour et la haine.
La grande réussite de Park est donc de parvenir, tout en s'inscrivant avec cohérence dans le contexte d'une trilogie, à assurer à la fois la continuité de la thématique amorcée avec SFMV et à développer son sujet en nous montrant différentes approches, complémentaires et contrastées.
Mais je l'ai déjà dit, SFLV n'est pas mon préféré de la trilogie, et ce malgré d'indiscutables qualités dont je viens d'ailleurs de mentionner une partie. Encore une fois la réalisation, la direction d'acteur, la photographie et la musique sont plus que remarquables, et il me faudrait sans doute bien plus de place et de talent pour en parler comme il se devrait. Non, le problème ne vient pas de là.
J'ai été gêné par quelques éléments, des détails me direz vous, qui font qu'en définitif le crescendo qui semblait engagé dès le second opus n'a à mon goût pas tenu toutes ses promesses. Même si j'ai conscience que chaque film du cycle se devait d' avoir son identité propre, et que cela pouvait d'ailleurs s'avérer être un atout indiscutable, un aspect par trop éclaté de la narration (spécialement dans la première partie de l'histoire),et quelques éléments maladroitement surréalistes, ajouté à une sous intrigue traitée de façon trop anecdotique ou pas assez touchante (Jenny), alourdissent un peu trop le film sur le plan du rythme et de la narration. Je dirais paradoxalement que le film a une dynamique plus chaotique que les deux précédents. Ceci dit il ne s'agit que de mon humble avis.
Toute fois ces petits défauts pourraient me dissuader de revoir ce troisième opus aussi volontiers que les autres.
Park achève donc une trilogie au thème facilement casse gueule et répétitif avec complémentarité, cohérence (encore une fois), poésie, violence, beauté et cynisme jusque dans sa conclusion. Trois films forts dans leur traitement sans concession, plastiquement remarquable et matières à réflexion, aussi hideux que magnifiques—à l'image de nos actes d' humains, à l'image de ce sourire crispé arboré par un visage énigmatique, inquiétant et touchant à la fois qui semble retenir ses larmes. Le masque de la comédie humaine.
P.S: Critique en lien avec celle de Sympathy for Mr Vengeance: http://sens.sc/IP2ue9 et celle de Old Boy: http://sens.sc/IP2IBT