Film culte du déjà très culte Terry Gilliam, "Las Vegas Parano" a ses adorateurs, ses amoureux transis, et ses violents détracteurs. Gilliam avait lui-même reconnu qu'il voulait que son film soit "le plus aimé et le plus détesté de l'histoire". Le film échouera à remplir cette mission mais sera effectivement considéré comme provocateur, déjanté. Un "film de sale gosse", en somme. Et ce ne sera ni son premier, ni son dernier.
Pour cause, pendant 2 heures, les personnages incarnés par Johnny Depp et Benicio del Toro arpentent les casinos et chambres d'hôtels de Vegas, complètement défoncés.
Hallucinations, vomissements, saccages, violence et non-sens sont au programme de ce trip glauque et dérangeant.
Le film ne respecte pas les règles classiques de la narration. Pas d’événement perturbateur ici : tous les événements occasionnent de violentes perturbations et ne présagent en rien de la suite du récit. De même, la raison qui amène les personnages à Las Vegas ne constitue qu'un prétexte pour suivre leurs pathétiques aventures de junkies. Les scènes s'enchaînent sans grande cohérence, au gré de la substance absorbée.
Les trips sous acide de Johnny Depp donnent d'ailleurs lieu à des sommets d'angoisse, entre dinosaures hallucinés, vision brouillée, lumières stroboscopiques...
A la réalisation, Terry est comme un petit fou. On sent véritablement le plaisir qu'il a à filmer ses acteurs sous les angles les plus incongrus pour mettre en exergue leur malaise et leur folie.
Mais l'ambiance du film passe aussi par les décors. Néons roses, sordides, ambiances claustrophobes, manèges en mouvement, tout est fait pour désorienter et oppresser le spectateur.
Voilà pour ceux qui fait la force de "Las Vegas Parano" : un jusqu'au boutisme dans l'esthétique et la direction d'acteurs. Mais qu'en est-il du propos du film ?
Certains détracteurs soutiennent que le film "ne raconte rien à part la vie de deux mecs qui se défoncent". Si je comprends cette frustration et la partage en partie, je ne souscris pas à cette thèse de "film creux'.
"Las Vegas Parano" a un propos, réellement grave et mélancolique. L'erreur de Gilliam a été de le mettre en retrait, de le cacher derrière une avalanche de péripéties rocambolesques proposées ad nauseam au spectateur.
Il est vrai que, malgré un savoir faire certain, regarder deux personnages triper pendant 2 heures devient vite une expérience lassante, hermétique, comme une private-joke dont on ne saisirait pas bien le sens et dont on se sentirait exclu.
Ajoutez à cela le dégoût qu'inspire un Benicio del Toro obèse, vomissant, à la moustache hideuse, et vous vous retrouvez avec un visionnage peu agréable.
Cet ennui, je l'ai bien ressenti, d'où mon 5/10.
Je ne nie pas que certains scènes sont assez succulentes, notamment l'ouverture dans le désert, le colloc de policiers anti-drogue... Mais globalement, j'ai trouvé le temps long.
Mais je m'égare. Le propos du film, donc ? La nostalgie. La fin d'un rêve et d'une ère. Nous sommes à la fin des années 1960 et le "summer of love" est fini. La communauté hippie a le sentiment d'avoir échoué à changer la société, toujours gangrenée par l'amour de l'argent et du profit. Seules subsiste la drogue, sorte de témoignage d'espoirs brisés.
Les deux "héros" sont pathétiques car ils essaient de retrouver, au travers de leurs excès, un sentiment de liberté illusoire. Comme de grands enfants provocateurs, ils vont se frotter au faste, au bling-bling, à la superficialité incarnée par Vegas. Mais la ville les engloutit. La victoire de Las Vegas sur les personnages est celle de la légende du self-made man, de l'argent roi, de l'apparence, sur les idéaux universels.
Cette poursuite d'un idéal fantasmé transparaît dans la scène de flash-back dans un cub de Los Angeles, dans la voix-off désabusée de Johnny Depp... Mais comme dans les drogues, le problème du dosage subsiste. Moins de scènes de destruction et de défonce, plus d'espace pour le spectateur, plus d'occasions pour lui de réfléchir, voilà qui aurait fait de ce film un chef-d'oeuvre, mêlant habilement fond et forme.
Alors que reste-t-il ? Un spectacle peu plaisant, dérangeant et fascinant, vaguement ennuyeux. Mais surtout, un spectacle frustrant.