Un homme e(s)t une femme.
Dolan a 23 ans, et a posé son style sur ses deux premiers films : la radicalité sans concession du conflit émotionnel dans J’ai tué ma mère, l’attrait pour un regard générationnel dans Les amours imaginaires, assorti d’un goût croissant pour l’esthétisme clipesque aussi léché que lyrique.
Son troisième film est probablement conçu comme la transformation des essais précédents. Doté de ses talents, une approche visuelle qui lui est propre est un génie indéniable dans ce qu’il obtient de ses comédiens, Dolan s’attaque à ce qu’il veut –trop- être comme son grand œuvre, déjà.
Lawrence anyways prend pour sujet premier la révélation qu’on un homme qui décide de devenir « celle que je suis né pour être ». Joli sujet, qu’on a vu très récemment traité par Ozon, et qui se prend lui aussi un peu les pieds dans le tapis, mais pour d’autres raisons.
Dolan, on le salue à chaque fois, (peut-être un peu moins pour son essai du côté du film noir dans Tom à la Ferme), a le grand mérite de sa sincérité. En empathie avec ses personnages, ne lâchant rien de leurs crises et joies solaires, il nous plonge avec conviction dans leur intimité. Clément et Poupaud se vident littéralement à l’écran, et si l’on reconnait leur performance, la saturation guette aussi. (Il est d’ailleurs assez émouvant de reconnaitre le tout jeune Antoine-Olivier Pilon apparaissant tel un ange gardien au balcon, annonce du grand coup d’éclat futur de Mommy.)
Sur le plan esthétique, les choses sont reprises là où l’opus précédent les avait laissées : Dolan ne renonce pas à son goût affirmé de l’épiphanie émotionnelle, aidé par les ralentis, la musique electro-pop et la mise en images de métaphores échevelées : cascades dans un salon, vêtements tombant du ciel, fêtes bigarrées. Son attrait pour la couleur et le clinquant trouve un alibi certain dans son retour sur les 80’s, générant pour la pauvre Suzanne un chapelet de coiffures que le bon goût réprouve. Mais au-delà de ces clips frappants dont il a le secret, le cinéaste affirme avec force un véritable sens du cadre, et la composition de ses plans est souvent très pertinente.
Cela ne l’empêche pas d’en faire souvent un peu trop, notamment dans ses caméras à l’épaule et son recours un peu trop systématique au champ/contrechamp occultant une moitié de visage de l’interlocuteur, symbole surligné de l’incommunicabilité des êtres.
Les qualités sont donc nombreuses, et l’on peut accorder une certaine indulgence à quelques effets de manche qu’on attribuerait à la jeunesse fougueuse du réalisateur. Il n’empêche que le film s’égare sur plusieurs points. Lorsqu’on veut créer des paroxysmes, c’est leur rareté qui constituera leur impact : ici, à trop vouloir tirer sur les retrouvailles et séparations, on terrasse le spectateur. D’une crise à l’autre, le film s’étale sur près de 3 heures sans que ce soit véritablement justifié. Si le parti pris de dilater l’épanouissement sexuel de Lawrence sur 10 ans est pertinent, et sa métamorphose plus crédible, ça l’est moins pour sa relation à Fred, et qui plus est sa mère, redite assez lourde des comptes personnels que Dolan semble devoir régler depuis son premier film.
Lawrence Anyways est un beau film, souvent émouvant. Le retour final à la scène de rencontre entre un homme et une femme est par exemple très percutant. Mais à trop vouloir en faire, à trop vouloir ne rien perdre des cris et des hésitations des êtres, il y perd à la fois son ton, et surtout son propos : il est particulièrement déconcertant de se demander, à l’issue de 2h50 de film, ce qu’il avait finalement à dire.
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