L’eau et les trêves
Deuxième volet d’une trilogie consacrée au Chili après Nostalgie de la Lumière, Le bouton de Nacre en reprend les grands principes : mêler l’observation de l’immensité naturelle à l’Histoire...
le 17 nov. 2020
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Deuxième volet d’une trilogie consacrée au Chili après Nostalgie de la Lumière, Le bouton de Nacre en reprend les grands principes : mêler l’observation de l’immensité naturelle à l’Histoire suppliciée d’un pays. Le fil conducteur sera ici l’eau, le grand miroir de cette nation qui se résume à une gigantesque côte, et qui semble voir dans l’Océan un miroir silencieux dans lequel se noie sa mémoire.
Cette poétique métaphore est justifiée, et conduit Guzmán à remonter aux origines mêmes du Chili, et la manière dont la colonisation a détruit sa première identité par le massacre des autochtones, dont il recherche les traces, la langue et les témoignages, avant d’embrayer sur l’océan devenu le sépulcre des victimes de la dictature de Pinochet. La même rage anime le cinéaste qui se cogne au déni et à l’impunité d’un pays fondé, puis pérennisé dans le massacre, et qui n’a jamais eu à rendre de comptes. Un désir, en somme, de créer une brèche, une trêve dans le silence.
Le propos est évidemment on ne peut plus nécessaire, et toute entreprise visant à mettre en mot dans une nation glacée par le silence est salvateur. Des questions peuvent néanmoins se poser sur les choix formels, voire d’écriture. La métaphore filée, parfois forcée, se fait pesante dans certaines séquences, dérivant vers un discours un peu new age revisitant Bachelard pour poétiser des thématiques qui n’en demandaient peut-être pas tant (la grande conversation du monde, la mémoire de l’eau qui chante les corps, etc…) et des prises de vues assez kitch de planètes, allant jusqu’à fantasmer des indigènes naviguant sous un crépuscule extraterrestre aux astres multiples. La voix off de Guzmán, lente et sentencieuse, ajoute à ce sentiment d’une présence trop grande du réalisateur, qui se préoccupe un peu trop de ses exégèses et son esthétique qui viennent phagocyter d’autres séquences bien plus vivaces, que ce soit celles où des autochtones parlent leur langue, ou le témoignage d’un pilote d’hélicoptère expliquant les missions de largage des corps auxquelles il a dû contribuer.
Paradoxe intéressant que celui du documentariste, qui, soucieux de mettre en voix et donner la parole à ceux que personne ne veut écouter, ne résiste pas au désir de s’écouter ou se regarder mettre en scène…
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le 17 nov. 2020
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