Le bruit des glaçons marquait en 2010 le grand retour de Bertrand Blier sur grand écran cinq ans après l'inégal Combien tu m'aimes?. Cinq années durant lesquels ce réalisateur majeur du paysage cinématographique français avait pu mesurer la difficulté à faire aboutir des projets peu conventionnels loin du tout venant d'une production hexagonale de plus en plus formatée. Le film marquait surtout le retour d'un Bertrand Blier en très grande forme tant dans la verve de son écriture que dans la petite musique de son univers, une forme d'autant plus jouissive que le film traite d'un sujet plombant et mortifère.
Le bruit des glaçons raconte donc l'histoire de Charles (Jean Dujardin) un écrivain de renom solitaire et alcoolique qui un petit matin reçoit la visite d'un homme mystérieux. Ce dernier se présente finalement comme étant son cancer et lui apprends qu'il va fatalement devoir passer quelques temps avec lui histoire de faire plus ample connaissance. Pour Charles et son cancer commence alors une relation entre refus, acceptation, conflit et complicité....
Pour ce film Bertrand Blier choisit donc un sujet vraiment original du moins dans son approche et propose un regard à la fois drôle, poétique, burlesque et émouvant sur la maladie. Le bruit des glaçons est une sorte de synthèse presque parfaite de l'univers de Blier. On pourra donc toujours reprocher au réalisateur de radoter un peu son cinéma mais je préfère voir dans Le bruit des glaçons l'expression d'un auteur et réalisateur possédant une petite musique et une patte absolument unique et reconnaissable entre mille. On retrouve donc la plume de Blier avec ce goût presque gourmand du dialogue et des bons mots et ces longs monologues souvent joués face caméra comme si les comédiens regardaient les spectateurs droit dans les yeux. Moins expérimentale et explosé que dans Merci la vie la mise en scène de Bertrand Blier reste pourtant toujours aussi originale et inspirée avec des personnages qui s'invitent physiquement dans des flash-back, des apartés commentant l'action, et une construction narrative dans laquelle présent, passé et fantasme se bousculent constamment. Ludique et intelligente la mise en scène de Bertrand Blier surprend et amuse comme lorsque un groupe de musiciens gitans s'invite sur le canapé de Charles pour jouer en direct la musique du film provocant un effet tragi-comique assez étonnant.
Pour servir une belle partition il faut souvent d'excellents musiciens, car parler et dire du Bertrand Blier n'est sans doute pas si facile que cela. L'occasion de saluer le casting du film avec Jean Dujardin, Albert Dupontel, Anne Alvaro, Myriam Boyer ou encore la jeune Christa Theret. C'est avec une évidente gourmandise que Dujardin et Dupontel s'approprient les bons mots de Bertrand Blier pour se livrer de formidables joutes verbales qui transpirent de la bonne humeur et du simple plaisir de jouer. Le duo fonctionne parfaitement et les mots gouleyants de Blier sortent avec un naturel plaisir malgré leur forme très littéraire. Albert Dupontel est juste formidable de justesse et hilarant en cancer cynique et rigolard qui s'incruste avec délice et sans gênes dans le quotidien de sa pauvre victime. Jean Dujardin prouve encore une fois que son registre de comédie n'est pas restrictif et livre une jolie performance non seulement sur le registre de la comédie pure mais aussi sur celui plus retenu de l'émotion. Les deux acteurs se fondent avec une telle aisance dans l'univers et les mots de Bertrand Blier qu'on espère un jour les retrouver associés à un autre film du metteur en scène. Le pendant féminin est tout aussi convaincant avec Anne Alvaro touchante en femme de maison amoureuse et discrète et Myriam Boyer inquiétante en cancer du sein tenace et teigneuse. Le bruit des glaçons est donc tout autant un grand film d'auteur qu'un formidable film d'acteurs. Il faut également saluer la musique, véritable acteur du film, qui accompagne à merveille l'univers de Bertrand Blier en étant tout à tour inquiétante, anxiogène dans un premier temps puis légère, mélancolique, décalé et émouvante.
Contrairement à de nombreux autres films du réalisateur Le bruit des glaçons ne souffre pas trop d'un problème de rythme et ne s'essouffle pas après une première partie grandiose comme pouvait le faire Tenue de soirée par exemple. Le bruit des glaçons maintient un intérêt constant en jouant comme un funambule sur une corde raide entre comédie burlesque et émotion. Bertrand Blier parvient à conserver une belle cohérence à son récit y compris lors des changements de ton les plus radicaux de son film ce qui fait que l'on passe souvent d'un franc sourire à l'émotion dans une même scène . Le regard que porte Bertrand Blier sur le cancer et la mort est à la fois cynique, désabusé et rigolard tout autant que pudique et bouleversant. Le bruit des glaçons reste une comédie dramatique vacharde qui s'autorise des échappées romantique presque naïves en plaçant le véritable amour comme unique espoir pour venir baiser la maladie. Et même si le climax du film est objectivement un poil décevant et tiré par les cheveux il n'empêche que Le bruit des glaçons se place sans problème comme un Blier bon cru
Le film rencontrera un joli petit succès à la fois critique et public qui pouvait laisser espérer ne pas devoir attendre cinq nouvelles longues années avant de retrouver sur grand écran l'un des plus singulier réalisateur du paysage cinématographique français, et pourtant .... Ce sont 9 longues années qui vont s'écouler entre Le Bruit des Glaçons et Convoi Exceptionnel