Ces derniers temps les films d’Eastwood me mettent claques sur claques, et me rappellent ce qu’est le grand cinéma américain, contemporain, sûrement mélancolique mais d’une maîtrise impeccable. Parfaitement encré dans son époque, à contre courant du politiquement correct mais certainement pas si réac’ que ce qu’on veut nous faire croire. Eastwood est parfaitement pertinent dans un portrait émouvant et tout en nuance dont il a la maîtrise.


« Le cas Richard Jewell » est au moins aussi intéressant que celui de son auteur.

Sorte de doyen des cinéastes américains, Clint Eastwood, 89 ans, très prolifique, décline et plonge encore dans une thématique qui lui est chère depuis, au moins, « American Sniper » : l’état du héros américain. L’exploration des mythes modernes des États-Unis à l’ère des médias.
« Richard Jewell » ne déroge pas à cette nouvelle règle. Voilà donc le portrait d’un héros qui déjoue un attentat (enfin en réduit la brutalité) mais est rapidement désigné, par les médias et le FBI, comme suspect de ce même attentat.
Le questionnement sur la figure du héros trouve ici une nouvelle dimension et sa remise en question. Mais à cette thématique on peut en accoler une autre, déjà vue auparavant dans « La Mule », celle de la dignité. Non plus celle du vieillard, mais celle de l’accusé. La dignité du nouveau coupable universel : l’homme blanc de la classe moyenne.



White trash



Parfaitement au fait des travers de son époque (on l’a vu traiter du racisme, du sort des vieux, des vétérans, etc), Eastwood choisit de s’attarder sur cet homme. Coupable idéal, héros misérable, beauf américain à moitié idiot et méprisable. Fou de l’ordre et des appareils de justice étatique (il rêve d’être membre des forces de l’ordre, fétichise les agences gouvernementales et fait appliquer la loi de manière obtus sans réflexion).

D’apparence médiocre, négligé, hors de son époque, vivant chez sa mère passé 40 ans, enchaînant les petits boulots, sympathisant de la NRA, etc. Ce Richard Jewell n’a rien du héros américain justement. Il est plutôt la représentation archétypale du beauf de la classe moyenne. Celle qui bénéficie du mépris généralisé d’à peu près tout le monde.
Notons déjà ici l’interprétation parfaite de Paul Walter Hauser, qui a le physique de l’emploi, et qui émeut aux larmes dans un final somptueux. Et tous les détails qui forment la personnalité mi-attachante, mi-dédaignable de Jewell.
Pourtant, un sens de la serviabilité aiguë et un professionnalisme maniaque (et une bonne dose de hasard) lui permettrons de sauver des dizaines de vies lors de l’attentat des JO d’Atlanta le 27 juillet 1996. Faisant tout de même 1 mort et 111 blessés.
Ainsi son acte de bravoure est en demi-teinte. Représenté de manière paradoxale par Eastwood. Les faits sont là, Jewell en faisant correctement son boulot a sauvé des vies, indéniablement. Mais il ne s’agit point ici d’un acte quasi-surhumain et d’un sens du sacrifice hors du commun.
On le comprend, Richard Jewell n’est pas le héros auquel on est habitué, tout le contraire. Ni même ce « monsieur tout le monde » qu’on croise parfois. C’est l’anti-héros, dans un sens nouveau. Le héros trop médiocre pour en être un, conformément aux clichés Hollywoodiens en premier lieux, mais surtout à l’imagerie américaine. Jewell ne correspond pas au mythe, ce qui en fait un personnage douteux.



Saint or savage ?



Par une manipulation sexuelle, au cours d’une scène digne d’un néo-noir dans un bar, la toujours splendide Olivia Wilde (ses yeux, bon sang de bois !!!) interprétant ici la journaliste arriviste du journal d’Atlanta en parodie de femme fatale ultra sexy soutire une information capitale au personnage de Jon Hamm, détective du FBI presque cliché. Je n’y vois personnellement pas ici de sexisme. Contrairement à ce qu’on peut lire, plutôt d’un double portrait excessif et à charge.

La scène est stylisée, éclairée de manière impressionniste et jure avec le reste du film. Ici nous avons ce qui semble être deux héros de cinéma à l’œuvre dans une scène, comme je le disais, issue d’un polar. Seulement le dialogue se termine de manière assez triviale.
Nos deux parfaits personnages Hollywoodiens se révèlent être les antagonistes de Jewell. Si l’on s’accorde à la vision manichéenne d’Hollywood, le gentil de l’histoire.
L’un représente l’organe gouvernemental, le FBI, l’autre les médias. Ce sont eux qui accusent Jewell, voire en font le coupable. Ils l’accusent sans preuves, car il correspond malgré lui a l’image du « loup solitaire » l’un des démons de l’Amérique contemporaine. Celui qui d’apparence trop « normale », blanc, défavorisé, va devenir un monstre. Les deux organes de pouvoirs ont décidé (sans preuves) que ce « loup solitaire » était Jewell.
Nous avons donc là l’opposition, l’injustice.
La critique des médias va encore plus loin. C’est bel et bien le personnage d’Olivia Wilde qui lance l’accusation contre Jewell. On en voit l’arrivisme, le non-respect de la vérité pour des faits analysables comme bon lui semble, l’acharnement et surtout la façon perverse dont les médias font l’opinion. Ce sont eux qui font passer Jewell de héros à terroriste en quelques heures. Ce sont eux qui bafouent l’intimité de la mère de Jewell et le condamne, faisant même fit des preuves qui l’innocente.


Que nous dit Eastwood ? Que les méchants médias américains sont des racistes anti-blancs qui considèrent Jewell comme un parfait petit facho ? Pas vraiment.
Comme je le disais Jewell n’est pas admirable. Il n’est pas iconisé par la mise en scène. À l’ère des super-héros, Jewell est juste un pauvre type qui a fait ce qu’il fallait. Ce n’est pas le martyr blanc accusé à tort parce qu’il est blanc. Ce que semble dire Eastwood par contre c’est qu’il existe dans l’opinion publique américaine un délit de sale gueule. Non, il ne fait pas bon être trop médiocre lorsqu’on aspire à être serviable. Ou alors, semble indiquer un cauchemar de Jewell, il vaut mieux mourir. Là peut-être, l’acte aurait été salué dignement.
Ce que nous montre Eastwood est plus universel qu’un discours racial (et raciste) que rasassent sans-cesse l’extrême droite et l’extrême gauche américaine (et pas seulement malheureusement) depuis quelque temps déjà (Bernie Sanders s’est exprimé très récemment pour faire cesser ces constantes considérations raciales qui minent le débat public, ce qui souligne la contemporanéité du propos). Ce que montre Eastwood ce sont les effets du non-respect de la présomption d’innocence, les effets du tribunal public complètement arbitraire que sont les journaux et médias en tout genre qui veulent et donc désignent un coupable avant même que la justice (ici jamais aucun tribunal n’entre en jeu) ne fasse son travail.
Ce que nous montre Eastwood c’est que même quand on est un « white trash » on a le droit à sa dignité.
Dans toute cette adversité et cet acharnement médiatique qui gâche la vie de notre personnage principal et sa mère nous notons aussi le rôle tout aussi central et malsain du FBI.



Cop to cop



Richard Jewell est un flic raté. Petit agent de sécurité ultra-zélé (ce qui lui a fait perdre son emploi d’adjoint au shérif), son seul but dans la vie est de servir et protéger ses concitoyens sous l’uniforme. On l’observe avec une certaine gêne, être aimable et serviable avec les autorités qui veulent pourtant le descendre à tout prix usant de moyens très certainement illégaux.

Richard Jewell fait partie de ses américains qui considèrent les institutions et les types en uniformes sans une once de recul, pensant naïvement que tous les hommes (et femmes, soyons inclusifs) qui servent ces institutions sont de parfaites représentations de la vertu.
Son histoire est aussi une sorte de roman d’apprentissage, il va faire les frais d’un acharnement judiciaire (généralement plutôt destiné aux afro-américains, d’où la pertinence du choix du personnage de sorte à montrer ce problème plus universel qu’on le croit) et avec l’aide de son avocat, interprété par l’excellent Sam Rockwell, qui ne souhaite pas « que quelqu’un décide pour lui » il va apprendre non pas à haïr bêtement l’état et l’ordre, mais à intégrer la nuance. Voilà un élément tout à fait limpide pour quiconque connaît un peu la filmographie d’Eastwood et cerne à peu près la mentalité américaine ; la doctrine libérale autant que libertarienne voire à l’opposé libertaire qui traverse en tout temps l’Histoire de la pensée américaine trouve une fois de plus un exemple concret dans ce film. On considère généralement les autorités avec un subtil (et sûrement paradoxal) mélange de respect et de méfiance pour les autorités étatiques et gouvernementales (comme le FBI) contrairement au shérif que le cinéma US a largement encensé.
Dans le film Jewell fait les frais de l’injustice, de la destruction de l’intimité, ironiquement symbolisée par la confiscation des tupperwares de sa mère ; contre laquelle il finira enfin par s’élever à la fin du film.


On le comprend, le film de Clint Eastwood s’encre toujours correctement dans un projet auteurial net (le héros US, qui n’est pas là le plus intéressant) mais brasse encore un ensemble de thématiques inévitables à notre époque.

Par son scénario, ses acteurs et sa maîtrise d’un académisme classieux et parfaitement de bon ton, Eastwood offre une vision contrastée d’un sujet complexe. Complexe, car il taxé souvent et à tort d’être LE cinéaste réactionnaire. Sa vision décomplexée du racisme choque (« Gran Torino », « La Mule »), son avis sur la politique de Trump pas assez hostile pour Hollywood, ses positions sur les grands sujets sociaux sûrement trop complexes dérangent. Aussi parce qu’il a décidé de s’attacher à rendre leur dignité à ceux que tout le monde ignore aujourd’hui aux USA : les vieux de la vieille (« La Mule ») et les beaufs blancs (« Richard Jewell ») prévenant au passage de la perversité des médias d’opinions avides de scandales, ou de scoops qui ont aujourd’hui plus que jamais le pouvoir de « cancelled » (pour emprunter la terminologie de la nouvelle extrême-gauche libérale US) ceux qui ne s’adaptent pas à la nouvelle tendance. Eastwood n’est pourtant pas le porte-parole de cette Amérique du passé qu’il montre sévèrement (Jewell insiste ridiculement sur le fait qu’il n’est pas gay, possède un nombre absurde d’armes à feux), notamment par l’intermédiaire de l’avocat (seul personnage vraiment bon du film, bon mais dur), le portrait est nuancé parce que réaliste. Ce qui est beau chez Eastwood c’est l’humanité qui surgit toujours dans le film. Les larmes d’une mère qui veut laver le nom de son fils, celles de la journaliste qui fait son mea-culpa et enfin celle d’un homme qui va pouvoir retrouver une vie simple sans éclat, aider son prochain sans être le héros romantique que le cinéma aimerait voir. Ce qu’il faut retenir du film c’est bien cela : l’humanisme, plus que le sacrifice.
La dernière partie du film se distingue en trois scènes clés très émouvantes, dont une d’une simplicité absolue, sans violons, ni effets où l’on se surprendra à pleurer. Du grand cinéma, peut-être trop didactique par moment, mais qui rappelle quand même les belles heures du classicisme Hollywoodiens avec un propos qui n’a, justement, rien de haineux.

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le 24 févr. 2020

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