Le conformiste est le film de toutes les oppositions , le chef d'oeuvre de Bertolucci s'éloigne considérablement des premiers films du cinéaste, de l'influence Marxiste du cinéma néorealiste de son mentor Pasolini ( Accatone, 1961) ou des visions modernistes de la nouvelle vague ( Prima Della Rivoluzione, 1964).
Le personnage de Marcello est la personnalisation de la contradiction , un individu qui rêve de ce fondre dans la masse mais dont la silhouette se détache en permanence du reste de la foule, qui adopte les idées fachistes par soucis de conformisme, qui regrette d'avoir tuer son violeur mais refoule sa propre homosexualité , épouse une femme qu'il ne respecte pas et tue une autre qu'il admire, un anti héros de film noir indiscernable et impulsif anoncant d'autres anti héros modernes comme le Jack Nicholson de Chinatown et le Travis Bickle de Taxi Driver.
La psyché fragmentée de Marcello préfigurant d'une certaine manière toutes les contradictions d'un pays divisé par les extrêmes diplomatiques des années de plomb, le film devient alors l'archétype du film politique italien et anxiogène des années 70 annonçant la froideur et l'esthétique du cinéma de Elio Pietri ( enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon ) Pasolini ( Salo et les 120 journées de Sodome ) et les nombreux Poliziottesco de Umberto Lenzi ou Sergio Martino. Une architecture psychanalytique à valeur symbolique qui construit en permanence un fil de pensée via les sentiers sinueux du flashback un trajet de voiture à la conclusion tragique ( Scorsese s'en souviendra dans la construction narrative de son Irishman ) une lune de miel profanée, par le biais d'un travail de mise en scène chorégraphique et millimétrée des intérieurs géométriques et désaffectés de l'administration Kafkaïenne de la bureaucratie des années 30, comme métonymie des tourments du protagoniste ( qui inspirera Mctiernan et le filmage des recoins du Nakatomi Plaza de Die Hard)
Une imagerie de l'oppression particulièrement sublimée dans cette magnifique scène du bureau ou les jeux de lumières et le travail sur le Clair obscur retravaille L'allégorie de la caverne de Platon grace au talent de Vittorio Storaro futur directeur photo de Apocalypse Now, instinctivement le spectateur comprends que le personnage de Marcello est malgré lui la victime de l'influence des ombres projetées sur les murs. Contrairement à son ami aveugle qui restera imperméable à toute idéologie jusqu à la dernière séquence du film. "les aveugles sont les vrais clairvoyants. "
La partition mélancolique de Delerue évoque le Ennio Moriconne de Once upon a time in America autant que les expérimentations sonores du cinéma d'horreur de Dario Argento.
Il en résulte pour moi le plus grand film politique de l'histoire du cinéma, et l'un des films les plus complexe et ambigu de l'âge d'or du cinéma italien.