Néoréalisme iranien
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le 6 avr. 2018
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Amiro est un gosse des rues dans l'Iran des Mollahs. Il a une dizaine d'années grand maximum, et visiblement aucune famille. Il survit tant bien que mal dans l'épave rouillée d'un bateau et multiplie les petits boulots (ramassage d'ordures, distribution d'eau, cirage de chaussures) pour ramasser de quoi se nourrir (généralement d'une pastèque) et surtout pour acheter quelques vieux magasines.
Car Amiro rêve de partir. C'est flagrant dès les premiers plans du film, où on le voit scruter les bateau qui passent au loin. Le lieu de vie d'Amiro est bordé par deux lieux de départ : un port, et un aérodrome, et il passe son temps à regarder d'un air rêveur ces deux promesses d'une autre vie. Deux promesses qui lui sont inaccessibles, bien entendu, à l'image de cet aérodrome qui est toujours situé de l'autre côté du grillage, réservé à des gens d'un bien autre niveau social que le sien.
Ainsi, l'espace est divisé en deux lieux, ceux où on l'autorise à aller et ceux dont il est exclu. Un espace très marqué socialement et très symbolique également : le fait d'avoir situé son habitat dans un bateau échoué est un symbole fort.
Et si Amiro court, c'est d'abord pour survivre. Avec la bande de « copains » (qui sont tout autant des concurrents de misère que des potes, d'ailleurs), il faut courir vite à la mer pour ramasser le plus de bouteilles possible. Et parfois, il faut courir pour garder son bien. L'extrême pauvreté entraîne des conflits, on en vient à être jaloux que l'autre ait récupéré deux bouteilles de plus. Dans ce monde désolé et misérable, la moindre petite chose, le moindre petit détritus peu rapporter une minuscule pièce de plus. Courir est ici vital dans un monde qui met en concurrence les gens entre eux.
Courir aussi, c'est parfois fournir un effort gigantesque pour un résultat dérisoire. Il s'agit de courir pour éviter que la vie ne nous file entre les doigts, comme ce bloc de glace qui fond inexorablement.
Et ainsi, le film multiplie les scènes qui sont à la fois d'un grand réalisme, prise sur le vif, et symboliques d'une condition sociale, voire même d'une condition humaine.
Amiro vit dans un monde de lutte incessante, un monde où il échoue bien souvent mais où il continue quand même à courir. « Je voulais savoir jusqu'où je pouvais courir » dit-il après avoir perdu une course. Finalement, courir, c'est voir où se situent les limites, les barrières, et tenter de les dépasser. Tout, dans ce film, est question de frontières, que ce soient les limites physiques ou les frontières sociales. Et Amiro cherche à les repousser toutes les deux. Il faut voir cette séquence éblouissante, une des plus belles du films, où il apprend l'alphabet. Le tout est filmé comme une course, avec un montage rapide et un personnage qui semble toujours à bout de souffle, prêt à s'écrouler mais tenant encore un peu. Le tout dans un sentiment d'urgence permanente.
Ce qui est magnifique dans ce film, et ce qui en fait sans doute un petit chef d’œuvre, c'est la façon qu'a le cinéaste de capter l'enfance. La vie misérable du petit Amiro est compensée par les jeux, la musique, les rires, les rêves. Le foot, les ballades en vélo sur les quais, les promenades interdites dans les trains de marchandises. Il y a toute une vivacité, une fraîcheur, une énergie qui empêchent le film de sombrer dans le misérabilisme. Rarement l'enfance aura été aussi bien filmée, au point qu'on en oublie même l'idée d'une quelconque mise en scène tant l'ensemble coule avec un naturel incroyable.
Il y a quelque chose de néoréaliste dans ce film. Évidemment, Le Coureur est une œuvre éminemment politique, et les nombreuses scènes symboliques sont là pour l'affirmer. On a l'impression d'assister à un lointain film de De Sica. Comme l'Italie des années 40, il y a ici le constat d'un pays dévasté (nous sommes en pleine guerre contre l'Irak), avec ses générations perdues, abandonnées dans les ruines d'une société en déliquescence dont les plus beaux atours sont vendus aux étrangers.
Et tout cela, les symboles, la politique, se glisse dans un récit qui ne perd rien de son réalisme ni de sa force. Un film qui évite les pièges du misérabilisme pour se tourner vers l'espoir d'une jeunesse énergique, confiante et déterminée. Un chef d’œuvre.
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le 4 avr. 2018
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