Le duel de trop
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le 13 oct. 2021
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Le Dernier duel est un divertissement efficace avec ses combats, bien réalisés, sales et violents comme ce qu'on imagine de la guerre médiévale, et ses restitutions historiques de la vie du XIVème siècle. D'ailleurs, s'il s'était contenté d'en rester là, beaucoup de ses nombreux problèmes auraient été évités.
J'aurais pu sympathiser avec la dépiction grotesque et régiphobe de Charles VI ("le Fol"...), qu'on retrouve ici en gosse efféminé et cruel. À chaque apparition à l'écran, le roi de France ne manque pas de cabotiner, comme une sorte de comic relief de bas étage. Pas de souci, il faut bien foutre quelques gags à la con pour la plèbe, ça fait partie des codes hollywoodien, même si là c'est très lourdeau et que c'est pas très diplomate de la part de Ridley Scott de chier sur un de nos rois.
Le rôle de Pierre II d'Alençon joué par Ben Affleck en combo coupe au bol / bouc jaune me dérange encore moins : bien que j'aie du mal à imaginer des libertins décadents à cette époque (je ne suis pas un grand historien, mais on dirait qu'ils ont confondu avec le XVIIème siècle), ça passe. Il faut bien un antagoniste.
Malheureusement, Ridley Scott ne se contente pas de vouloir faire un Gladiator moyen-âgeux. Il veut faire passer un MESSAGE. (Mot à prononcer avec une grimace mélangeant douleur et tristesse.)
Je dirais même pire : nous avons là uneuh critiqueuh de la société du Moyen-Âge. Tiens donc !
En gros, Matt Damon (Jean) joue un gros chevalier bourrin psychorigide bigot qui s'arrange un mariage avec une meuf à qui il n'est pas capable de donner un orgasme. Adam Driver (Jacques) joue un guerrier bogoss avec la tête de d'Artagnan (so french). Lui, c'est évidemment l'antithèse : il est moins à cheval (jeu de mot involontaire) sur les valeurs d'honneur et de chrétienté, plus politique et séducteur.
Le film insiste bien sur le côté misogyne de la société de l'époque. Mi-so-gyne. En 1386. Au milieu de nos deux connards, Jodie Comer (Marguerite) joue la femme malheureuse, opprimée par son mari Jean et sa vilaine belle-mère, séduite par Jacques, mais elle peut pas pasque c'est pas bien qu'est-ce qui nous arrive c'est un amour impossible.
En l'absence de son mari, qui part souvent faire le kéké à la guerre, le film nous sert des scènes ridicules où Marguerite se révèle avoir des super suggestions pour les récoltes du domaine. Donc on est devant un film qui nous dit que c'était vraiment pas bien de pas laisser les femmes bosser en 1300 parce qu'elles auraient pu avoir de bonnes idées. On est à deux doigts de nous apprendre qu'elles n'avaient pas de carnet de chèque.
Le film se passe à une époque où les problématiques se situent plutôt au niveau d'essayer d'éviter de crever avant l'âge de 25 ans. Peste, invasions, famines... Le film se passe à une époque où la présence de gros types en armure est plus que conseillée pour éviter que les femmes ne se fassent violer et décapiter par des Anglais ou des voisins pas très courtois et que les bébés finissent en ragoût. Le film se passe à une époque où tout le monde en chie un maximum. Mais c'est cette époque que le film a choisi pour nous donner une leçon de féminisme, dans une des lectures les plus anachroniques du Moyen-Âge qu'il m'ait été donné de voir.
On apprend donc qu'en 1380, une pauvre pitchoune de la noblesse n'avait, entre autres, pas d'orgasme et ne pouvait pas mettre de décolleté. À la même époque, ma propre famille devait être des paysans édentés en train de faire de la brasse-coulée dans des mares de chiasse et de manger des cailloux pour le dîner, mais on aurait été quand même bien malheureux d'apprendre l'horrible vie des femmes nobles.
Je me doute que c'était très chiant de devoir se marier avec un chevalier ultraviolent qui pue de la gueule, de se faire violer par Adam Driver et d'avoir les Jacquouilles de l'église légiférer dessus. Mais la vie des hommes de l'époque n'avait rien d'une partie de plaisir non plus.
Et on pourrait me rétorquer que Scott montre aussi bien la difficulté d'être une femme en 1380 que celle d'être un homme, avec ses scènes de guerre et les péripéties de Jean de Carrouges bolossé par tout le comté. Mais c'est sans remarquer tous les petits détails qui hiérarchisent clairement les souffrances : comme cette scène où Marguerite fait la leçon à Jean, lui reprochant d'être un affreux mesquin imbu de sa fierté (alors que le gars passe sa vie à se tuer le cul sur le champ de bataille) ou le petit jeu sur l'apparition de la typographie du chapitre 3 nous indiquant que la vérité de Marguerite est la bonne. On se demande comment l'auteur peut l'affirmer, le livre original se basant sur des témoignages d'il y a 800 ans.
À aucun moment la figure de Marguerite est un peu remise en question. Le vague intérêt qu'elle porte à Adam Driver est tout de suite contrebalancé par une preuve de sa loyauté quand elle refuse les avances de Jacques. Quelle chic fille.
Film hagiographique pro-féministe anti-patriarcal anti-Moyen-Âge anti-roi donc, saupoudré d'un très vague respect pour la figure du combattant chevalier. Un film d'autant plus indélicat que Ridley Scott se permet d'en foutre plein la tête à la noblesse et le clergé français, alors qu'il est anglais. Le film aurait peut-être été moins douteux si c'était la société anglaise médiévale qu'il avait critiqué pour son manque de modernité.
Créée
le 11 nov. 2021
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