Avec son troisième film, Le Fidèle, Michaël R. Roskam rate le coche et met un peu les pieds dans le tapis avec un polar à la sève mélodramatique qui peine à trouver son souffle. Habité par une mise en scène toujours aussi à l’aise, le film trouve son talon d’Achille au niveau d’un scénario qui manque d’aspérité avec son intrigue digne d’un roman de gare.


Pourtant, Le Fidèle avait tous les ingrédients pour confirmer Michaël R. Roskam dans le haut du panier des réalisateurs de ce cinéma de genre. Alors qu’on remarque une certaine continuité dans la démarche du cinéaste avec ce rapport aux fêlures et à l’enfance, le récit initiatique et le mensonge, à l’adrénaline et le banditisme, l’amour et ses contrariétés, Le Fidèle marque un virage assez conséquent dans l’œuvre du belge. Bullhead et The Drop, avec leur mise en scène carré jusqu’au bout des ongles et ce mutisme masculin organique et presque asexué, avaient cette atmosphère âpre qui faisait doucement penser à Nicolas Winding Refn (sans l’aspect chromatique). Le Fidèle, lui, prend une autre tangente et devient un ersatz un peu bâtard de Jacques Audiard et s’accoutre du costume d’un polar brumeux qui mêle gangsters et amours dans la même salve : Gigi est un braqueur de banques qui dit travailler dans l’import/export et Bibi est conductrice automobile.


Le pari aurait pu être gagnant si le film avait su tirer de son héritage et de ses références (Heat), l’envergure crépusculaire de la construction même du récit. Ici, la mise en image est soignée, avec une photographie grisâtre, les scènes de braquages étalent le talent de Roskam dans le découpage et le cadrage de l’action mais le cheminement ne démontre aucune poésie : ce qui s’avère rédhibitoire pour une œuvre qui passe son temps à allumer les clignotants de la romance. Les qualités du cinéaste, on les connaissait déjà et avec Le Fidèle, on a l’impression qu’il a voulu viser plus haut mais qu’il n’a pas eu suffisamment les épaules pour cette ambition là.


Alors que son cinéma faisait parler le corps, les courbures des muscles et les mimiques intériorisées, le cinéaste délave un peu son style pour adoucir son récit, effacer ses effets sensoriels et en faire une mécanique certes fluide mais terriblement convenue qui ne sait pas faire parler les mots : des dialogues assez insipides, une amourette qui se dévoile par ses scènes de sexe qui font plus office de remplissage malgré la beauté des protagonistes, cette rengaine du dernier braquage pour après repartir à zéro, les non-dits sur le passé, le poids des responsabilités et une empathie qu’on ne ressent jamais.


Durant tout le film, on se dit qu’il manque quelque chose, un déclic, cette électricité qu’on peine à voir dans Le Fidèle mis à part dans ces séquences de bagnoles, qu’elles soient en course ou sur le bitume des autoroutes, qui donnent un coup de peps à une histoire un peu endormie. Une partie du problème est que le film veut être à la fois une romance, un film de groupes, un film de hold-up, un film de prison, et un mélodrame ; en passant trop de temps à filer plusieurs fils génériques, il oublie de tisser une histoire cohérente. Le Fidèle est à l’image, non pas de ses protagonistes, mais de ses deux acteurs Adèle Exarchopoulos et Matthias Schoenaerts : élégant et photogénique, mais qui sonne faux, et dont le manque de folie et d’ambiguïté accouche au final d’une souris.


Car même si le film a cette idée assez intelligente de s’éloigner de cette vision du polar qui fait de la femme un être fragile et en détresse, notamment dans un dernier tiers assez original mais gâché par un pathos guimauve, Le Fidèle est un coup de pistolet dans l’eau qui sauve les meubles par une mise en scène capable du meilleur. Certes, dans le monde polar, Le Fidèle aura toujours plus de puissance et de magnétisme qu’un Olivier Marchal, mais on s’attendait à beaucoup mieux de la part d’un espoir du genre.


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Velvetman
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le 5 nov. 2017

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