Le Garçon et le Héron
6.9
Le Garçon et le Héron

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2023)

Miyazaki l’admet volontiers : l’idée de cesser de créer lui est impossible. Si Le Vent se lève avait été présenté comme son dernier film il y a dix ans, le maître n’a pu s’empêcher de se lancer dans un nouveau projet, qu’on aura désormais la prudence, malgré son âge (82 ans) de ne pas considérer comme son ultime effort.

L’univers profus dépeint par Le Garçon et le héron renvoie de manière assez limpide à l’idée que se fait probablement le créateur de la retraite : celle d’une vie paisible, à son rythme, au sein de l’imaginaire créé ces quarante dernières années, à l’image de ce vieil oncle trônant dans sa tour venue d’un autre monde, demiurge inquiet à l’idée de ne pas trouver de successeur. On y retrouvera des rappels constants de l’œuvre passée – les mauvais esprits pourront aller jusqu’à le considérer comme un best-of en forme de fan service pour renouer avec l’esthétique qui précédait la rupture plus réaliste et intimise du Vent se lève. La joie des retrouvailles le disputera en effet à un léger sentiment de frustration face à ces versions peut-être édulcorées des sylvains, des noiraudes et des motifs de passages vers un monde caché sous les apparences du réel.

Entendons-nous : Miyazaki n’a rien à prouver en termes d’animation, et reste indéniablement le maître de son monde : les images sont superbes, le découpage parfait, la fluidité exemplaire, et tout son bestiaire profus habite avec intelligence un espace malléable au fil d’aventures éblouissantes. Ce film prouve qu’il n’a rien perdu de sa superbe, et qu’il reste bien évidemment le seul à pouvoir proposer un tel cinéma, à l’heure où la relève (Hosoda et autres Sinkai) est déjà solidement en place. On retrouve avec émerveillement cette capacité à combiner une forme d’épure (surtout la première partie) et de silences (les vols délicats du héron en approche) à des excroissances fantasmagoriques ouvrant sur des espaces infinis et saturés de mouvement (ce très beau plan des voiles sur la mer, ces amas de grenouilles, poissons ou pélicans).

Car Miyazaki poursuit son périple mêlant l’intime autobiographique et le conte merveilleux. Si là aussi, les motifs restent redondants (le trauma originel d’une guerre destructrice, la mort de la mère, la fragilité de santé de la seconde), la question du récit initiatique suit une trajectoire assez passionnante. Une scène très marquante dans sa pudeur voit le garçon observer du haut de l’escalier au retour de son père, que viendra embrasser sa belle-mère : un baiser hors champ, inaccessible à sa vue, mais qui le pétrifie tout de même. La suite du récit sera une incursion dans un royaume imaginaire où il s’agira de faire face à l’indicible (le deuil) et accepter de tourner la page - du livre offert par sa mère, mais aussi de sa disparition pour accueillir sa tante et surtout le bébé qu’elle porte.

Miyazaki se cache donc dans deux êtres diamétralement opposés : l’enfant du réel, et le maître du royaume imaginaire, tentant de faire tenir en équilibre un mobile dont les pièces éparses pourraient renvoyer, selon certains exégètes, à tous les longs métrages réalisés par le cinéaste. Cette référence cachée pourrait s’avérer être la clé de la limite d’un projet dont la ligne d’horizon se limiterait à une introspection mémorielle qui, restée dans sa tour d’ivoire, tend à oublier ceux à qui elle s’adresse. Elle expliquerait aussi le fait que le garçon éponyme manque de personnalité, et se laisse entraîner dans des espaces et des situations dont la légitimité semble surtout être celle de la profusion visuelle. Comme si le maître, avide de prolonger la saveur de l’imaginaire, avait substitué à son « il faut tenter de vivre » de l’opus précédent un « il faut continuer de rêver » un peu moins courageux.

(7.5/10)

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le 1 nov. 2023

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Sergent_Pepper

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