Piques, épique au kilogramme.
Rallonge multiprise
Ce n’est un secret pour personne, le Hobbit devait au départ tenir en deux opus. La rallonge ici proposée a autant satisfait les exploitants qu’inquiété les amateurs de la Terre du Milieu, et à raison. A peine plus raisonnable que les précédents dans sa longueur (2h25), le film n’a clairement pas grand-chose à raconter, et travaille sa dynamique sur un déséquilibre qui lui fait beaucoup de mal, à savoir un début tonitruant, suite directe du précédent (Smaug sur la ville), et une nouvelle pseudo-exposition s’acheminant laborieusement vers la bataille éponyme.
Jackson, en service auto commandé, module sur sa partition familière ; caméra balayant en surplomb ses décors, visages qui se lèvent hors champ avec solennité et effroi pour annoncer un revirement funeste, distribution équilibrée de l’innombrable galerie de personnages…le problème, c’est que ce à quoi on pouvait trouver du charme vire rapidement à la formule, tant la forme repose sur un fond presque inexistant. Rarement, les dialogues solennels auront été aussi médiocres, mention spéciale à Smaug et à Azog, passant leur temps à annoncer que leur interlocuteur « VA MOURIR ».
Ils descendent des lasagnes à cheval
En résulte un ensemble qu’on pourrait comparer à un plat de lasagne : on empile des couches, mais toujours les mêmes. Entre la barbaque des combats, la béchamel censée faire le liant est l’ingrédient le plus inepte du film. La romance elfe/nain laisse toujours aussi indifférent, le pleutre Alfrid occasionne des scènes d’humour franchement embarrassantes, et tout ce qui contribue à tenter d’épaissir un brin les personnages (en gros, les enjeux traditionnels de la famille, des enfants à protéger) ne fait pas le poids face au déluge de CGI en HFR qui fait d’eux des pantins sans âme.
Des batailles, pas la guerre.
Reste donc le cœur du film : les combats.
Je n’ai pas revu Le Retour du Roi depuis sa sortie en salle, mais la fameuse bataille finale m’avait marquée, et il est évidement que celle-ci, achevant la nouvelle trilogie, tente d’en reprendre le souffle. Une très belle image, au départ, atteste pourtant d’un talent toujours vivace de Jackson, lorsque les nains forment un front avec leurs boucliers, par-dessus lequel les elfes vont surgir pour symboliser leur alliance. Mais à force de l’atomiser par des surdéveloppements (en gros, toutes les 20 minutes, la crête qui se noircit d’un nouveau belligérant et de ses milliers de fantassins), de privilégier les combats singuliers aux scènes d’ensemble, la dynamique en pâtit, et l’on perd de vue les enjeux généraux au profit de combats répétitifs et interminables à l’arme blanche.
Pourceau de bravoure.
Jackson sait qu’on attend de lui quelques goodies, et propose donc deux séquences supposées ajouter le piment nécessaire à sa sauce. Les hallucinations de Thorin en proie à l’or qui le dévore, remake low cost de l’influence de l’anneau sur un roi, occasionnent un « gold vortex » qui n’est franchement pas du meilleur effet. Mais c’est surtout le combat contre Sauron pour sauver Gandalf qui retiendra l’attention, comme un sommet absolu de laideur numérique, où Galadriel nous offre un darkside qui ravit autant que de voir par inadvertance sa belle-mère en sous-vêtements. Dans une esthétique proche des effets de Charmed, outrancier, criard, sans intérêt, cette verrue est l’archétype de tous les excès de ce chapitre supplémentaire.
Chute ninja
On sait que ce sont les concepteurs de cascades qui écrivent une part du scénario de James Bond, qui devra s’arranger pour se retrouver à un moment dans telle ville avec un tank contre un jet ski. Le Hobbit fonctionne de la même manière : à la descente de rivière du second volet répondent ici deux séquences qui, prises isolément, sont vraiment sympathiques. Le combat à double niveau entre orques, nains et elfes sur une tour écroulée, et le face à face entre Azog et Thorin (un brin long) rivalisent d’idées dans la diversité et l’action, et pour une fois, exploitent vraiment la 3D.
A l’écart des grands enjeux par ailleurs presque inexistants, le film parvient donc à raviver la flamme, bondissant d’une pierre à l’autre, trucidant dans la joie. Il faut peut-être s’y résigner : pour ce chant du cygne, n’est héroïque que l’individu, et la fantasy est celle de l’action plus que du souffle épique.