Chapitre final de la boiteuse trilogie du Hobbit, La Bataille des cinq armées apparaît comme une véritable curiosité dans la galaxie des blockbusters. Ramassant l’entièreté des indéniables défauts narratifs initiés par les deux premiers opus (en particulier le second), il se posait à cette sixième incursion de Peter Jackson en Terre du Milieu deux solutions : essayer tant bien que mal de composer un final cohérent et satisfaisant pour chaque arc narratif ouvert, ou bien se lâcher définitivement, abandonner la narration malade de la trilogie et offrir un pur film de sale gosse plein aux as, fun, décomplexé et jouissif. Et pour notre plus grand plaisir, c’est bien pour cette seconde option qu’opte Jackson qui, non content de la mettre à l’envers aux producteurs, livre un film au carrefour de ses deux carrières : celle du réalisateur de films d’horreur à petit budget et celle de l’exégète de l’Œuvre de Tolkien. Comme si un producteur fou à lier avait confié 250 millions de dollars au Jackson de Braindead. Il n’en demeure pas moins que La Bataille des cinq armées est souvent considéré comme l’opus le plus faible de la trilogie pour son relatif mais réel désert narratif ou encore pour sa propension à étirer un épisode passé sous silence dans le roman de Tolkien. Alors oui, la fameuse bataille du titre pâtit indéniablement de l’absence d’un soutien narratif et thématique qui la légitimerait, rendant par conséquent ses multiples morceaux de bravoure vains, mais c’est aussi ce qui constitue à mon sens la principale force du film, car outre une mise en scène d’une immersion et d’une virtuosité dans l'action parfaitement jouissive, rien ne semble légitimer la plupart des séquences de batailles, dont certaines font qui plus est la part belle au images les plus gores jamais vues en Terre du Milieu. Jackson brise avec bonheur le carcan du blockbuster de studio et profite de la page blanche laissée par Tolkien pour livrer un film par bien des aspects contrefait mais émaillé ça et là de saillies géniales et impensables dans ce type de production d’ordinaire calibrées au millimètre. Car outre ses errements purement jouissifs, le film parvient également à conclure avec brio les quelques arcs narratifs correctement amenés par les deux films précédents. Je ne parle bien-sûr pas, et vous vous en doutez, du pitoyable triangle amoureux qui a tant fait grincer des dents (et à raison), mais plutôt du cas Thorin écu-de-chêne par exemple, qui en plus de constituer (avec Smaug) le personnage le plus charismatique de la trilogie, se paye un climax à mi-chemin entre Macbeth et Beowulf. Son addiction à l’or, sa paranoïa montante culminant dans une poignée de plans le représentant minuscule, isolé dans les grandes salles d’Erebor, entretenant sa folie dans des compositions rappelant tant les adaptations shakespeariennes d’Orson Welles que le Ivan le Terrible d’Eisenstein, finit de composer un personnage passionnant n’ayant rien à envier aux meilleurs protagonistes du Seigneur des Anneaux. S’ensuit enfin une pure confrontation mythologique avec Azog, son ennemi de toujours, qui vaut largement le coup d'œil, ne serait-ce que pour ce j’aime voir comme un emprunt au Cliffhanger de Renny Harlin (Azog sous la glace…). Mais je m’emballe, oubliant que l’ouverture du film, reprenant le récit où La Désolation de Smaug l’avait abandonné, charrie elle aussi son lot de bonnes surprises. La brillante et virtuose mise en scène de Jackson amplifie la menace du dragon qui plane littéralement au-dessus d’Esgaroth, les flammes, la peur, l’enfer s’abattent sur la ville. C’est alors que Bard, tel Siegfried affrontant Fafnir, se dresse face au monstre avec l’ambition de triompher là où son aïeul avait échoué. C’est alors que l’émotion pointe le bout de son nez lors d’un très bel échange de regards entre Bard et son fils directement menacé par Smaug. On pourra toujours regretter la patine excessivement numérique de ce troisième volet, en partie dû à la rareté des projections en 48 images/secondes, fréquence pour laquelle la trilogie toute entière a été pensée, mais force est de constater que trop peu de blockbusters actuels parviennent à délivrer le chaos génialement fun, jouissif et décomplexé de La Bataille des cinq armées. Ce troisième volet de la trilogie la plus vilipendée de ce début de XXIe siècle n’en demeure pas moins bancal et bourré de défauts (pouvait-il en être autrement ?) mais se classe néanmoins et sans difficulté, n’en déplaise à quelques aigris pourtant prompts à célébrer des tâcherons à la Snyder, parmi les meilleurs blockbusters de la décennie passée. Même acculé, Jackson les gouverne tous.

Antonin-L
7
Écrit par

Créée

le 27 sept. 2024

Critique lue 7 fois

Antonin-L

Écrit par

Critique lue 7 fois

D'autres avis sur Le Hobbit - La Bataille des Cinq Armées : Version longue

Du même critique

Vaincre ou mourir
Antonin-L
1

Vide sidéral

J'attendais beaucoup, peut-être trop de ce premier film estampillé Puy du Fou, qui avait tout, selon moi, pour être le Braveheart français. Et même si je ne pouvais cacher une certaine circonspection...

le 15 févr. 2023

14 j'aime

7

Le Dernier Duel
Antonin-L
4

Maladroit, bête, prétentieux… Du pur Ridley Scott

Cette critique contient des spoilersIntroduction Réalisateur des Duellistes, Alien, Blade Runner, Thelma et Louise ou encore Gladiator, Ridley Scott semble depuis quelques années victime d'une longue...

le 27 juin 2023

13 j'aime

11

Braveheart
Antonin-L
9

Braveheart, ou l'acte de naissance d'un grand cinéaste

Introduction : Lauréat de 5 Oscars, dont ceux du meilleur film et du meilleur réalisateur, Braveheart marque l'entrée de l'immense acteur Mel Gibson au panthéon des grands réalisateurs. Si beaucoup...

le 11 oct. 2023

9 j'aime

6